Edgar Austin Mittelholzer (1909-1965) né en Guyane britannique, l’actuelle Guyana, est un auteur métis. Découvert, après des années d’infortune, par Leonard Woolf, le mari de Virginia, Edgar Mittelholzer est le premier écrivain caribéen à avoir connu un succès en Europe. Mais rien n’apaise la haine de soi de celui qui se sent rejeté pour sa couleur de peau. De controverses en dépressions et face aux déjà prégnantes questions identitaires, il finit par se suicider en 1965.
Une œuvre conséquente dont le roman Le Temps qu’il fait à Middenshot (1952) vient d’être édité. Un bel objet-livre à la hauteur de cet excellent roman.
Le lieu, Middenshot un petit village en Angleterre. L’époque, le début des années 1950. Les personnages : la famille Jarrow, Herbert le vieux père, fou animé de pensées morbides, se vautrant dans l’horreur, il croit que sa femme Agnès est morte et ne s’adresse plus à elle que lors de séances de spiritisme ; Agnès donc, a pris son parti de la situation par amour pour son époux et n’est plus qu’une ombre dans la maison ; et puis il y a Grace, leur fille d’une trentaine d’années, laide, elle s’est réfugiée dans le tricot en faisant sa profession. Il y a aussi Mr Holme, le voisin veuf, ex-policier devenu amateur d’orchidées, sur lequel Grace fantasme un peu mais la concurrence est rude car Hyacinthe, la jeune bonne de Mr Holme, qui roule de la croupe (« ses fesses dansaient chaque fois qu’elle remuait le bras ») a des vues sur cet intéressant parti. Les faits : un pensionnaire de l’asile proche s’est évadé et depuis, chaque nuit, un crime est perpétué…
Un bouquin qui ressemble vaguement à un polar mais ce n’est qu’une astuce pour en rendre la lecture plus attractive encore. Les clins d’œil au genre s’accumulent, des cadavres donc, des indices bien glauques qui rapprochent ces meurtres du vieil Herbert qui s’en réjouit par ailleurs, l’angoisse de la mère et de la fille, nous sommes plus dans le farfelu que dans le thriller, d’autant qu’une paire de détectives privés entre dans le jeu, deux zozos bien zinzins, loufoques et philosophes (Je dirais même plus, philosophes et loufoques ! Botus et mouche cousue, vous m’avez compris).
Au faux polar s’ajoutent les liens entre les acteurs, Grace qui lorgne sur Holme, Holme qui songe à Grace, Hyacinthe qui fait du rentre-dedans à Holme, tous coincés par leur timidité ou la peur de l’aventure qui dérangerait leur routine de vie. Là encore, pastiche du roman de genre.
Le vrai sujet est ailleurs, dans les propos de nos deux détectives qui se livrent à des joutent verbales sur des sujets épineux : la peine de mort pour les assassins, les fous criminels et par extension à tous ceux qui gâchent la vie des honnêtes gens ; ou bien l’extermination des malades mentaux à la naissance ; euthanasie, eugénisme… C’est là et non dans ce qui précédait que se trouve la vraie angoisse de ce texte terrifiant.
Ce régal de lecture ne serait rien encore, si je n’évoquais pas l’écriture car Mittelholzer utilise différentes techniques. Le roman est en trois parties, nommées Vent, Brouillard et Neige, et dans chacune l’élément climatique a un rôle et revient dans chaque phrase ; climats propices aux frayeurs et peurs diffuses, quand un assassin rôde autour des maisons, induisant des ambiances tendues entre les personnages.
Venons-en au plus beau, les dialogues et les pensées des acteurs se mêlent, allant même jusqu’à se répondre indirectement, formant une sorte de cadavre exquis extraordinairement bien torché car la compréhension générale n’est pas altérée pour le lecteur lambda. Une prouesse technique enthousiasmante. Je vous laisse découvrir les autres astuces littéraires de narration.
Excellent roman, une découverte totale pour moi, une lecture indispensable pour vous !