Ce livre je l’ai attendu, ou plutôt c’est lui qui m’a attendue longuement, sagement, dans ma bibliothèque au milieu de dizaines d’autres livres que je meurs d’envie de découvrir mais pour lesquels le temps me manque. Si Station eleven est enfin sorti de ma Pal, ça n’est pas grâce à moi mais au Livre de poche qui l’a sélectionné en juillet pour son Prix des lecteurs 2021.
Il m’arrive très rarement de démarrer un roman en fanfare, persuadée de tenir entre les mains la pépite que je recherche dans chacune de mes lectures, souvent en vain, pour le terminer sur une défaite cuisante, déçue et contrariée d’avoir autant espérée le miracle qui ne s’est pas produit. Pour tout dire, je ne pensais vraiment pas être confrontée à cette énorme désillusion avec Station eleven d’Emily St John Mandel, d’abord parce que c’est un roman que j’ai longtemps attendu, ensuite parce que son thème m’emballe énormément, enfin parce que les avis à son sujet sont aussi nombreux qu’unanimes. C’est un chef-d’oeuvre à n’en pas douter mais c’est l’un des nombreux chefs-d’oeuvre que je n’aurai pas compris.
Tout commence pourtant de manière puissante et dramatique. Un comédien s’effondre sur la scène d’un théâtre devant un parterre de spectateurs médusés. L’homme est mort et l’auteure nous précise rapidement qu’il n’est hélas que la tête de file d’une hécatombe. Une pandémie va disséminer la population mondiale, ne laissant ça et là que des individus errants que nous allons suivre dans leurs combats pour la survie. Parmi ces pauvres hères, des artistes réunis sous l’égide de La symphonie itinérante, déclament du Shakespeare et jouent du Beethoven « parce que survivre ne suffit pas ».
Ne croyez-vous pas que ceux qui ont le plus de difficultés à s’y adapter sont ceux qui se souviennent clairement du monde ancien ?
FD : Je n’y avais pas réfléchi.
KR : Ce que je veux dire, c’est que plus vous avez de souvenirs, plus vous avez perdu.
FD : Vous vous rappelez bien certaines choses…
KR : Si peu. Mes souvenirs d’avant le cataclysme ressemblent aujourd’hui à des rêves. Je me souviens d’avoir regardé par le hublot d’un avion, ce devait être dans le courant de la dernière année, et d’avoir vu le ciel de la ville de New York. Vous l’avez vu, ça ?
FD : Oui.
KR : Un océan de lumières électriques. Ca me donne des frissons rien que d’y penser. Je ne me souviens pas vraiment de mes parents… juste des impressions. Je me souviens de conduits qui soufflaient de l’air chaud en hiver et d’appareils qui jouaient de la musique. Je me souviens d’écrans d’ordinateurs allumés. Je me souviens que, quand on ouvrait un frigo, il en sortait de l’air froid et de la lumière.
Tout au long du roman, on passe de la vie d’avant à la vie d’après, longtemps après même puisque certaines séquences se déroulent 20 ans après les faits. La temporalité de ce roman m’a chahutée : entre intérêt marqué et profonde indifférence, entre curiosité et ennui, j’ai erré au fil de ces histoires du passé insouciant et du présent morne. Il y a beaucoup de messages véhiculés par le texte d’Emily St John Mandel, il y est question de la place de l’art dans nos vies, quand tout a disparu, qu’il ne reste plus rien d’autre, pas même l’essentiel pour se chauffer ou pour se nourrir.Un thème quasi philosophique qui, dans un autre contexte, m’aurait transportée mais qui ici, ne m’a pas intéressée le moins du monde. L’écriture est belle, le roman est travaillé dans sa forme comme sur le fond mais l’histoire manque de relief à mon goût, c’est assez brouillon et monotone, lassant, très lassant même. Si vous voulez un roman d’anticipation qui remue, qui sert le coeur et ravive les consciences, je vous conseille plutôtL’aveuglement de Saramago. Il est fascinant, tant par l’approche sociologique et psychologique d’un monde d’après qui se reconstruit sur les cendres du monde d’avant, que dans le travail sur la langue, avec sa ponctuation fantaisiste. L’aveuglement vous offre l’adrénaline des montagnes russes quand Station eleven rassure par son doux ronron d’un grand et beau carrousel qui tourne indéniablement en rond.
L’ESSENTIEL
Station eleven
Emiliy ST JOHN MANDEL
Editions Rivages en GF et Le livre de poche
Sorti le 24/08/2016 en GF et le 04/11/2020 en poche chez Le livre de poche
504 pages
Genre : roman d’anticipation
Personnages : Kirsten Clark, Jeevan, Arthus Leander, Miranda…
Plaisir de lecture :
Recommandation : oui pour les amateurs du genre
Lectures complémentaires : L’aveuglement de José Saramago, Dans la forêt de Jean Hegland, Et toujours les forêts de Sandrine Collette, En un monde parfait de Laura Kasischke
RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR
En l’espace de deux semaines, une grippe foudroyante aux graves symptômes respiratoires a causé l’effondrement de la civilisation. Vingt ans plus tard, parmi les rescapés, une troupe d’acteurs et de musiciens parcourt la région du lac Michigan et tente de préserver l’espoir en jouant du Shakespeare et du Beethoven. Ceux qui ont connu l’ancien monde l’évoquent avec nostalgie, tandis que la nouvelle génération peine à se le représenter.
Sur plusieurs décennies, entre le passé et le présent, les destinées des personnages s’entrelacent. Si la vie semble encore possible, l’obscurantisme guette, menaçant les rêves et l’avenir des survivants.
TOUJOURS PAS CONVAINCU ?
3 raisons de lire Station eleven
- C’est un roman plus que jamais d’actualité
- La vision de l’art défendue dans ce roman est particulièrement intéressante
- Le traitement littéraire est original pour un roman d’anticipation
3 raisons de ne pas lire Station eleven
- L’auteure veut faire passer beaucoup de choses à travers son roman, trop peut-être
- Il y a assez peu de dialogues, rendant l’ensemble assez lourd et indigeste
- Autant le monde d’avant a l’air intéressant, autant celui d’après est assez lisse et morne
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