Cause animale, luttes sociales, dirigé par Roméo Bondon et Elias Boisjean

Cause animale, luttes sociales, dirigé par Roméo Bondon et Elias Boisjean

Cause animale, luttes sociales, dirigé par Roméo Bondon et Elias Boisjean, avec les textes de Ernest Cœurderoy, Louise Michel, Marie Huot, Charles Gide, Élisée Reclus, Léon Tolstoï, Henry Stephens Salt, Séverine, Octave Mirbeau, Georges Butaud et Sophie Zaïkowska, Louis Rimbault, le passager clandestin, 2021, 240 pages.

Résumé

Souvent réduite à un régime alimentaire ou à la lubie passagère d’une époque déboussolée, la cause animale est de plus en plus médiatisée mais aussi instrumentalisée, récupérée et dépolitisée. Dans cette anthologie, Roméo Bondon et Elias Boisjean explorent ses racines historiques pour mieux souligner le non-sens d’un engagement animaliste qui se passerait d’une remise en cause du capitalisme.

Bien avant l’invention du concept d’antispécisme, des hommes et des femmes ont conjugué à leurs convictions socialistes et libertaires une sensibilité particulière pour ces « autres exploités » que sont les animaux. Dénonciation de la corrida, de la chasse, de l’élevage ou de l’abattage industriels, défense du végétarisme… Loin d’être désuets, leurs propos témoignent de l’urgence de bâtir une société résolument écologiste et animaliste.

⭐⭐⭐⭐

Note : 4 sur 5.

Mon humble avis

Merci à Babelio et aux éditions le passager clandestin pour l’envoi de cet ouvrage en échange d’une chronique honnête.

J’avais vu passer cette publication qui m’intéressait et j’étais donc ravie de pouvoir la sélectionner dans le cadre d’une Masse critique ! Étant donné que je m’intéresse à la fois à la cause animale / l’antispécisme et à l’anti-capitalisme, c’était l’ouvrage parfait pour avoir un aperçu des publications sur le sujet en France à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième. Si je connaissais certain⋅es auteur⋅ices présent⋅es dans le recueil auparavant, comme Louise Michel et Élisée Reclus, c’était seulement de nom et c’était très intéressant de découvrir leurs écrits.

Ce qui m’a le plus surpris dans ces textes, c’est à quel point ils sont encore d’actualité cent, voire cent cinquante ans plus tard. On retrouve des arguments encore tout à fait valables aujourd’hui – ou à présent valables, notamment sur la non-nécessité de consommer des produits d’origine animale depuis que la vitamine B12 peut être synthétisée.

Hélas, ce n’est que trop vrai ! La science de l’homme n’a pas encore trouvé le moyen d’épargner la chair savoureuse des bêtes, et ses mains sont souillées de la généreuse liqueur de la vie. Mais le temps est un grand maître ; le sein de la terre est toujours fécond, et notre intelligence persévérante quand même. Les jours sont proches où notre constitution sera tellement modifiée que les végétaux pourront former la base de notre nourriture. Notre espèce se rapetisse par le corps et grandit par l’esprit à mesure que la culture élève, embellit, fortifie les plantes et verse dans leurs canaux des sucs plus animalisés. Notre régime est plus végétal que celui des générations qui nous ont précédés, et déjà se discute sérieusement partout l’opportunité de la tempérance parmi les hommes et de la compassion envers les animaux. Toute conception vient à son heure ; celle-ci nous occupe, elle remue l’Angleterre : elle accuse une tendance irrésistible du siècle.
Ernest Cœurderoy, « La corrida de torros en Madrid » dans Jours d’exil tome II, 1853, p. 49-50

Et même des contre-arguments tels que le fameux « cri de la carotte » qui consiste à reprocher aux personnes qui ne mangent plus d’animaux de ne pas s’inquiéter du sort des plantes alors que « potentiellement », elles souffrent. Louis Rimbault cite Han Ryner qui répond à la perfection à ce faux argument.

« La plante souffre peut-être, mais l’animal souffre certainement. Plutôt que l’intolérable certitude de causer une souffrance évidente, j’accepte le risque cruel encore, mais inévitable, de créer une souffrance possible. Quand je fais tout ce que je peux, je ne m’adresse plus aucun reproche. À manger l’animal que j’ai nourri d’abord de la plante, j’ajouterais d’ailleurs la souffrance possible à la souffrance certaine et je détruirais deux formes de vie au lieu d’une » (Han Ryner).
Cité par Louis Rimbault, « Le problème de la viande » dans Le Néo-naturien, 1922, p. 229

Différents sujets de la cause animale sont abordés, qu’il s’agisse de la corrida, de la vivisection ou encore du végétarisme – autant de sujets pour lesquels il est encore nécessaire de se battre aujourd’hui. L’intérêt de ce genre de recueil c’est qu’il rassemble des textes qui se font écho mais aussi qui se complètent, par exemple en terme de genre : on trouve des essais, des pamphlets plus théoriques mais aussi des descriptions extrêmement détaillées d’abattoir (par Léon Tolstoï).

Si j’ai un reproche à faire à ce recueil, c’est qu’il présente plus d’auteurs que d’autrices (seulement quatre sur douze) et qu’en plus les textes de ces dernières sont particulièrement court – il aurait pu être intéressant de viser la parité. Autrement le recueil est très bien fait, avec une préface qui resitue la période et le contexte, mais aussi une présentation de chaque écrivain⋅es avant leurs textes, ce qui est tout à fait bienvenu.

Tout concourt, tout conspire à faire de l’animal une chair taillable et torturable à merci : la gourmandise, plus encore que la faim, nous pousse à le sacrifier avec des raffinements de cruauté ; la cupidité nous pousse à le surmener dans son travail ; la sottise à le tourmenter pour en faire un objet d’amusement ; la curiosité scientifique et l’égoïsme à le transformer dans les laboratoires en chair à scalpel et en réactif, lorsqu’il s’agit d’expérimenter les poisons qui convulsent et qui tuent. Et enfin, pour comble, notre lâcheté nous pousse tous les jours à l’abandonner ou à le sacrifier, chaque fois que sa présence nous gêne, nous répugne, ou simplement nous déplaît.
Marie Huot, « Le droit des animaux » dans La Revue socialiste, 1887, p. 83

J’ai en tous cas beaucoup accroché à certains textes et je ne manquerai pas de lire plus longuement certain⋅es des auteur⋅ices présenté⋅es ici, notamment Élisée Reclus !