« Fait divers : événement sans portée générale qui appartient à la vie quotidienne ». Comment peut-on associer un meurtre à un tel terme, suivi d’une telle définition ? Et pourtant c’est bien dans la colonne « faits divers » d’un journal que l’on en trouvera les obscures détails. Ce terme m’a toujours choquée par la manière qu’il avait de minimiser l’impact d’événements dramatiques, cette onde de choc qui terrasse victimes et proches.
La vie d’Irène Frain a été marquée par l’un de ces sordides faits divers. Sa soeur Denise a été sauvagement assassinée chez elle, un soir alors qu’elle était toute seule dans sa maison. Son crime loin de passionner les foules n’est même pas parvenu à mobilier la justice. L’auteure découvrira que la mort de Denise n’est qu’un dossier parmi tant d’autres, un crime sans importance pour ceux qui passent leur journée à enquêter et à statuer sur des faits du même acabit. Dans son récit, l’auteure évoque tour à tour ses rapports avec cette soeur qu’elle n’avait pas vue depuis des années, se pose la question de sa légitimité en tant que proche d’une victime dont elle n’était en réalité plus s’y proche que cela, s’insurge de la lenteur de la justice (« le temps de la justice n’est pas le vôtre » : toute personne qui aura déjà eu affaire à la justice aura entendu ces mots de la bouche de son avocat), se persuade qu’elle ira jusqu’au bout, pour elle et surtout en mémoire de Denise.
Tout se mélange dans ce récit qui a bien un début – l’assassinat de Denise – mais pas de fin car quelle fin espérer quand la mort a pénétré chez vous ? Celle d’une décision de justice tant espérée mais qui ne peut tomber en l’absence d’un coupable, faute d’enquête sérieuse, faute de mobile ? Pourquoi Denise a-t-elle été assassinée ? Par qui ? Ces questions obsèdent Irène Frain et l’amènent à hurler sa colère car ces questions devraient aussi intéresser la justice, elles devraient la préoccuper autant qu’elle. Trouver le coupable, le mettre derrière les barreaux c’est son rôle après tout mais tout le monde s’en fout, de Denise, d’elle, de ce crime impuni. Voguant de secrets de famille en pamphlet contre l’appareil judiciaire, l’auteure se libère d’un poids à travers son récit. Le lecteur est témoin de sa déroute et de ses doutes autant que de son deuil qu’elle ne peut parvenir à faire tant que toute la lumière sur cette disparition n’aura pas été faite. Alors tel un exutoire, Irène fait ce qu’elle sait faire de mieux : écrire sa douleur et sa peine, coucher sur papier sa colère, témoigner de l’injustice flagrante qui touche toutes les familles dans son cas.
Je vais écrire sur Denise. Écrire pour que la justice se mette à son tour à écrire. Des mots comme « crime » par exemple, au lieu d' »agression » et « meurtre » au lieu de décès. Même si elle ne met pas la main sur le coupable, elle est seule à pouvoir laver nos vies du sang versé. Si la police a échoué, c’est à elle, la justice, de reprendre le flambeau. A elle d’agir, maintenant, à elle de dire, à elle d’écrire, à elle de remettre de l’ordre dans ce chaos. Il est simple, cet ordre, les humains le connaissent depuis la nuit des temps. Les vivants chez les vivants, les morts chez les morts.
Un crime sans importance est un texte tellement intime qu’il en devient presque dérangeant pour le lecteur qui n’aura pas vécu une expérience aussi terrible. Un peu comme avec Un dimanche matin de Johanne Rigoulot je me suis sentie de trop, pas à ma place, pas vraiment touchée par l’épreuve que traverse l’auteure alors que découvrir ce texte en version audio, lu par Marianne Denicourt, aurait dû créer une proximité supplémentaire avec celle-ci. J’ai un peu de peine à l’écrire mais je n’ai pas réussi à faire mienne son histoire, je ressors donc assez mitigée de cette lecture même si je comprends très bien le besoin de l’écrire qu’a pu ressentir Irène Frain.
L’ESSENTIEL
Un crime sans importance
Irène FRAIN
Editions Le Seuil en GF et Lizzie pour la version audio
Sorti le 20/08/2020 en GF et le 10/06/2021 en audio
256 pages (4h05 d’écoute en version audio)
Lu par Marianne Denicourt
Genre : récit
Plaisir de lecture :
Recommandation : oui
Lectures complémentaires : Un dimanche matin de Johanne Rigoulot, Les mémoires familiales de Vanina Leprovost
RÉSUMÉ DE L’ÉDITEUR
« Les faits. Le peu qu’on en a su pendant des mois. Ce qu’on a cru savoir. Les rumeurs, les récits. Sur ce meurtre, longtemps, l’unique certitude fut la météo. Ce samedi-là, il a fait beau. Dans les commerces et sur les parkings des hypermarchés, on pointait le ciel, on parlait d’été indien. Certains avaient ressorti leur bermuda et leurs tongs. Ils projetaient d’organiser des barbecues dans leur jardin.
L’agresseur, a-t-on assuré, s’est introduit dans la maison de l’impasse en plein jour. On ignore à quelle heure. Pour trancher, il faudrait disposer du rapport du policier qui a dirigé les investigations. Malheureusement, quatorze mois après les faits, il ne l’a toujours pas rendu. »
Face à l’opacité de ce fait divers qui l’a touchée de près – peut-être l’œuvre d’un serial killer –, Irène Frain a reconstitué l’envers d’une ville de la banlieue ordinaire. Pour conjurer le silence de sa famille, mais aussi réparer ce que la justice a ignoré. Un crime sans importance est un récit taillé comme du cristal, qui mêle l’intime et le social dans des pages tour à tour éblouissantes, drôles ou poignantes.
TOUJOURS PAS CONVAINCU ?
3 raisons de lire Un crime sans importance
- Enfin un récit pointe du doigt cette lenteur insupportable de la justice
- La question des proches et de leur légitimité est particulièrement bien traitée dans ce texte
- On ressent que l’écriture de ce livre a été un besoin presque viscéral de la part de l’auteure
3 raisons de ne pas lire Un crime sans importance
- On pénètre dans les secrets d’une famille et ça peut mettre mal à l’aise le lecteur
- Ce livre semble plus écrit pour l’auteure que pour ses lecteurs
- On ressasse beaucoup, il y a peu d’avancées
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