Les furtifs
Par Alain Damasio
Chez les éditions La Volte (disponible chez Folio SF)
Content warnings : agressions physiques et verbales, mention d’agression sexuelle. Violence générale.
Ils sont là parmi nous, jamais où tu regardes, à circuler dans les angles morts de la vision humaine. On les appelle les furtifs. Des fantômes ? Plutôt l’exact inverse : des êtres de chair et de sons, à la vitalité hors norme, qui métabolisent dans leur trajet aussi bien pierre, déchet, animal ou plante pour alimenter leurs métamorphoses incessantes.
Lorca Varèse, sociologue pour communes autogérées, et sa femme Sahar, proferrante dans la rue pour les enfants que l’éducation nationale, en faillite, a abandonnés, ont vu leur couple brisé par la disparition de leur fille unique de quatre ans, Tishka – volatilisée un matin, inexplicablement. Sahar ne parvient pas à faire son deuil alors que Lorca, convaincu que sa fille est partie avec les furtifs, intègre une unité clandestine de l’armée chargée de chasser ces animaux extraordinaires. Là, il va découvrir que ceux-ci naissent d’une mélodie fondamentale, le frisson, et ne peuvent être vus sans être aussitôt pétrifiés. Peu à peu il apprendra à apprivoiser leur puissance de vie et, ainsi, à la faire sienne.
Je pensais m’être pris des claques en matière de romans mais c’est que j’avais jamais lu Alain Damasio. La science-fiction, j’y vais à tâtons, j’essaye, je m’inquiète. Ce n’est pas rien comme genre, ça fait peur car les écrits peuvent vite faire écho à notre quotidien. C’est là le propre à la science-fiction, non ?
Alain Damasio a cette écriture particulière où les points de vue se mélangent et s’articulent à l’aide de signes mnémotechniques. On sent que ce roman a été pensé et bichonné pendant quinze ans avec cette plume si aboutie, changeante selon les personnages témoins de l’histoire ! Alain Damasio est une personne engagée dans sa vie quotidienne, et ça se sent. Les Furtifs n’a pas ce relent de romans fades où les idées présentées sont prémâchées par la littérature antérieure. Ce n’est pas tout neuf, ce que Damasio véhicule, mais sa voix est bien plus harmonieuse que les autres que j’ai pu lire, elle fait écho au vécu. Je pense notamment aux prises de bâtiments et ilots, chapitres magnifiques, qui sont le pendant futuriste des ZAD actuelles.
La diversité des personnages que nous propose Alain Damasio est également très satisfaisante. Si, de primes abord, il y a un certaine sexualisation des protagonistes féminins qui m’a dérangé, cela disparaît vite entre les lignes. Nous avons des personnages tout sauf binaires, entièrement gris. C’est très jouissif à lire, à décortiquer leurs point-de-vue en craignant le pire. Notre auteur les a fait filé dans l’histoire avec une main de maitre.
Lire Alain Damasio avec les Furtifs, c’est comme avoir une sorte de manuel informel à la révolution. Ca grise, ça donne envie de sortir dans les rues pour faire entre nos voix. Je vais avoir la chance d’assister au concert Entrer dans la couleur, qui est un album illustratif de son romain. Écoutez donc quelques musiques, quelques minutes, et plongez dans son œuvre colossale, perchée tout en ayant les pieds droit sur terre.