L’étreinte (Jim – Laurent Bonneau – Editions Grand Angle)
Benjamin et sa compagne Romy viennent de passer quelques jours de vacances dans le joli petit port de Cadaqués, en Catalogne. Sur la route du retour, alors que Romy est au volant, Benjamin regarde les photos prises la veille avec son smartphone. Rapidement, il est absorbé par la photo d’une inconnue sur la plage. On ne voit pas son visage, mais il s’agit d’une jeune femme vêtue d’un maillot noir. Elle est allongée seule sur le sable, manifestement passionnée par la lecture d’un roman. En scrutant cette image, Benjamin est immédiatement fasciné. C’est plus fort que lui: il veut savoir qui est cette inconnue, et à quoi ressemble sa vie. Soudain, un crissement de pneus le sort de sa rêverie. En une fraction de seconde, la vie de Romy et de Benjamin bascule. Leur voiture est percutée de face par un autre véhicule qui leur fonce dessus à pleine vitesse. Benjamin s’en tire miraculeusement, mais sa compagne est grièvement blessée. Elle est plongée dans un coma artificiel et les médecins ne se montrent pas très optimistes quant à ses chances de survie. Hasard du calendrier, Benjamin apprend au même moment que ses sculptures vont bientôt faire l’objet d’une grande exposition. C’est une opportunité en or pour lui, une chance qu’il attendait depuis des années. Malgré sa peine, il décide donc de se plonger à corps perdu dans la réalisation de dizaines de sculptures, tout en allant régulièrement voir Romy à l’hôpital. Au fur et à mesure que le temps passe, les chances de la voir revenir à la vie s’amenuisent de plus en plus. Pendant ce temps, Benjamin continue plus que jamais à penser à l’inconnue sur la photo, cette mystérieuse femme au maillot de bain noir. Pour être sûr de ne pas oublier ses traits, il va même jusqu’à la casse pour récupérer son smartphone dans la carcasse de sa voiture accidentée. L’appareil ne redémarre plus mais heureusement, un réparateur de téléphones parvient à récupérer ses images. Comme un appel à la vie, comme s’il devait se rattacher à quelque chose pour oublier l’état désespéré de sa compagne, Benjamin décide alors de tout faire pour retrouver cette femme. Entre le travail acharné pour préparer son expo dans une galerie parisienne et les visites à l’hôpital pour voir Romy, il retourne régulièrement à Cadaqués pour essayer de retrouver la belle inconnue. Petit à petit, cela devient pour lui une véritable obsession…
Il y a quelque chose de très cinématographique dans « L’étreinte », qui est un livre au ton très particulier, dans lequel l’ambiance et les images pèsent plus que l’histoire en elle-même. Ce roman graphique de plus de 300 pages commence par un accident de voiture, exactement comme le film « Les choses de la vie » de Claude Sautet, avec Romy Schneider et Michel Piccoli. Ce n’est certainement pas un hasard non plus si l’un des personnages principaux de cette histoire s’appelle Romy. Ce qui est très intéressant dans « L’étreinte », c’est que les auteurs n’ont pas fonctionné de manière classique. Au lieu de partir d’un scénario bien délimité à l’avance, comme cela se fait généralement dans la bande dessinée, ils ont déployé leur récit au fur et à mesure sans but narratif précis, en se renvoyant la balle et en se laissant porter par les images et les mots. « Nous sommes partis d’une photo prise à la volée sur une plage de Cadaqués », explique le scénariste Jim. « On y voit une femme au loin, une totale inconnue, une silhouette… Une photo parmi mille photos dans un téléphone. J’avais capturé cette immobilité, qui me semblait un point de départ possible. A partir de la photo d’une inconnue, j’ai donc découpé les quelques pages d’ouverture. Une début d’histoire, une promesse, peut-être. Un trajet en voiture. Un accident. Laurent a rebondi dessus et quelque chose d’assez inattendu s’est enclenché. Il a dessiné le début, puis il s’est laissé porter par les possibilités du récit. Notre règle était simple: pas de scénario. Avancer des planches, échanger beaucoup, évoquer des axes possibles, des réflexions, entrevoir des situations… Etre libres. Ne pas se contraindre. Partir à l’aveugle. » En laissant libre cours à leur créativité et en fonctionnant de manière quasiment expérimentale, Jim et le dessinateur Laurent Bonneau ont finalement réussi à pondre un récit qui est non seulement tout à fait cohérent, mais qui est également passionnant et émouvant. Bien sûr, tous les auteurs ne parviendraient pas à retomber sur leurs pattes en travaillant de la sorte. La réussite de « L’étreinte » est certainement liée au talent de raconteur d’histoires de Jim, qui a déjà publié plus de 90 albums, parfois en tant qu’auteur complet, parfois juste en tant que scénariste. C’est lui qui a signé le best-seller « Une nuit à Rome », par exemple. Quant au dessin de Laurent Bonneau (auteur il y a quelques années du magnifique « Ceux qui me restent »), il est à son sommet dans cette BD. Son trait est à la fois réaliste et sensible, avec un rendu à mi-chemin entre peinture et photographie. « L’étreinte » est donc clairement l’une des toutes bonnes surprises de cet été. C’est un roman graphique puissant et très humain, qui va certainement plaire aux amateurs de récits romantiques et sensibles.