Marcel Aymé (1902-1967) est un écrivain, dramaturge, nouvelliste, scénariste et essayiste français. Ecrivain prolifique, il a laissé deux essais, dix-sept romans, plusieurs dizaines de nouvelles, une dizaine de pièces de théâtre, plus de cent soixante articles et des contes. Il a également écrit de nombreux scénarios et traduit des auteurs américains importants : Arthur Miller (Les Sorcières de Salem), Tennessee Williams (La Nuit de l'iguane).
Roman paru en 1933, La Jument verte s’est vue adaptée au cinéma par Claude Autant-Lara en 1959 avec Bourvil. Je n’avais pas dix ans quand le film est sorti mais je garde en mémoire des souvenirs confus de commentaires outrés lors de réunions de famille, parfum de licence et de hardiesse olé-olé, propos dont le sens m’échappait mais dont je devinais l’aspect sulfureux… Le film vu de longues années plus tard ne m’avait pas offusqué, le roman me semble lui bien plus « chaud ».
L’action se déroule à Claquebue, un petit village du Jura, vers 1860 et s’étale sur une trentaine d’années. Le roman débute avec la naissance d’une jument verte chez les Hardouin, signe de fortune selon la légende… Globalement trois intrigues se mêlent, une intrigue politique où Républicains et cléricaux se disputent la mairie ; une intrigue d’ordre familial qui voit s’opposer les Hardouin et les Maloret, haine féroce qui connait son apogée lors de la guerre de 1870 quand les Prussiens déboulent dans le bled et qu’un gamin Maloret dénonce les Hardouin, l’un des officiers entre dans la maison et viole la mère Hardouin sous les yeux de son fils, caché sous le lit ! La dernière intrigue est une version de Roméo et Juliette, Juliette Hardouin envisageant d’épouser Noël Maloret.
Les personnages du livre sont nombreux, ceux des familles citées sur plusieurs générations, mais n’oublions pas le curé du village dont le rôle n’est pas moindre ou encore le facteur, non moins crucial factuellement. Scènes de village, rivalités permanentes, ragots et vérités mêlées, vacheries permanentes entre les uns et les autres qui entretiennent la haine, compromission et calculs roublards pour la mairie avec une extension quand un fils Hardouin, vétérinaire en ville, tisse des liens qui pourraient s’avérer rentables avec le député local dont une fille Maloret est la maîtresse ! C’est dense, bien plein, les dialogues savoureux, les situations cocasses pour le moins et réellement « hot » souvent – et même si ça date de 1933, ça y va !
Car venons-en au sujet du roman, il s’agit du sexe. La sexualité dans le milieu rural, pratiquée sans honte ou pudeur, telle que la vache et le taureau l’exhibe aux yeux de tous et des plus jeunes. Les adultes forniquent en famille ou avec celle des autres, les patrons troussent leurs employées, les gamins fricotent entre eux dans les champs ; ça se complique quand il y a viols et incestes, les uns arguant de tradition familiale, les autres y voyant dégénérescence ; le curé jongle avec les confessions des unes et des autres pour asseoir son autorité ou à l’inverse de ces pratiques, Ferdinand le vétérinaire, d’une pruderie exacerbée touchant au ridicule, voit du sexe même quand il n’y en a pas (« toujours porté aux pires situations, imaginait des saletés qui lui donnaient la fièvre »), au grand désespoir de sa femme qui réclame sa part.
Et la jument verte ? Morte, il en reste son image grâce à un tableau dont a hérité Ferdinand. Un chapitre sur deux, elle intervient et résume ou développe l’intrigue par son analyse ou sa théorisation des situations.
Excellent roman, d’une drôlerie irrésistible et d’une grande richesse d’analyse qu’on ne peut qu’aimer ! Allez, chauffe Marcel !