Suite à une Lecture Commune pour les Etapes Indiennes qui a conquis de diverses manières les participantes, j'ai eu envie de voir l'adaptation filmée du roman (que je n'ai pas lu).
Et j'ai aimé!
Le Tigre blanc
Avec Adarsh Gourav ( Balram Halwai) ; Rajkummar Rao (Ashok) ; Priyanka Chopra Jonas (Pinky) ;
Vedant Sinha (Dharam) ; Kamlesh Gill (la grand-mère de Balram) ; Mahesh Manjrekar ("La Cigogne") ;
Vijay Maurya (Mukesh, dit "La Mangouste") ; Swaroop Sampat ("la grande socialiste", inspirée de Pratibha Patil) ; Nalneesh Neel (Vitiligo) ; Aaron Wan (le Premier ministre chinois, inspiré de Li Keqiang)
Réalisé par : Ramin Bahrani
Scénario : Ramin Bahrani, d'après le roman éponyme d'Aravind Adiga
Genre : DrameSortie mondiale sur Netflix : 22 janvier 2021
Nationalité : Américaine et Indienne
Durée : 125 mn
Thèmes : Inde, Classes sociales, Capitalisme
Alors que le Premier Ministre chinois s'apprête à venir en Inde, Ashok Sharma lui écrit un mail dans lequel il raconte son histoire et son ascension sociale, sans rien édulcorer.
L'entrepreneur indien doit être droit et tordu, blasphémateur et croyant, soumis et sincère.
Il doit être tout ça à la fois.
Né Balram Halwai et sans le sou à Laxmangarh un village reculé de l'Inde, orphelin de mère puis bien vite de père, enlevé jeune de l'école, où il a eu la chance d'aller contrairement à son frère qui travailla très tôt dans le magasin familial de thé, il convainc sa grand-mère (et matriarche de la famille) de lui payer des cours de conduite.
Il ambitionne de devenir le chauffeur particulier d'Ashok, le dernier fils de " la Cigogne " qui contrôle la région. Ashok vient juste de revenir des Etats-Unis où il a étudié et épousé Pinky, une jeune femme d'origine indienne qui s'est libérée des carcans traditionnels et familiaux.
Naïf et soumis, mais aussi ambitieux et rusé, Balram raconte comment la société façonne et enferme les êtres en deux classes sociales : la Haute et la Petite, décrivant ainsi les rapports de soumission qui existent jusque dans la nourriture, la non attention vestimentaire ou le non lavage des dents.
Issu de la seconde, formé uniquement dans le but de servir, Balram se rend indispensable aux yeux de ses riches maîtres. Les rapports, floutés et presqu'amicaux, se tendent après l'anniversaire de Pinky.
Ivre, elle avait pris le volant et renversé une fillette et s'était enfuie.
Ce dernier comprend qu'il a été dupé par la famille d'Ashok qui s'est servie de son ignorance du monde et de ses droits, pour le piéger lui, et se protéger elle, tout en exerçant une menace implicite envers sa famille.
D'abord résigné, Balram se rebelle contre ce système truqué, fait de jeux de pouvoirs, de corruptions et d'inégalités entretenus.
Pour s'en sortir, il n'a d'autre choix que de s'y fondre.
Ça valait vraiment la peine de ressentir ne serait-ce qu'une journée, ne serait-ce qu'une heure, ne serait-ce qu'une minute, ce que ça fait de ne pas être un domestique.
La lecture des différentes chroniques du roman de Aravind Adiga dont le film est issu m'avaient rendu Balram désagréable et antipathique, arriviste et dénué de sentiments, alors qu'il m'est apparu naïf et attachant dans le film.
On ressent et on comprend ce qu'il vit.
De nombreux états d'âme le traversent, l'abîment ou le confortent dans sa décision et son objectif.
Certains passages sont vraiment difficiles, voire insoutenables, tant il est conditionné, utilisé, impuissant en raison de sa condition.
Difficile de n'être pas écœuré(e) par ce qu'il voit et subit.
Même si sa décision est ultime, elle apparaît, pour lui, comme l'unique moyen de s'en sortir. "Bouffer ou être bouffé" ne laisse guère de choix.
La fin est à double tranchant.
Devenu un entrepreneur d'un nouveau genre, avec des méthodes patronales beaucoup plus humaines et respectueuses de ses salariés, ses mots qui finissent son mail, engagent une autre lutte. Des propos à caractère raciaux forcément instigateurs de haines.
Les Blancs sont en voie de disparition. Ils n'en ont plus pour très longtemps.
C'est le siècle de l'homme marron et de l'homme jaune. Que Dieu ait pitié des autres.
Le livre/film aborde le rapport traditionnel entre dominants et dominés (exacerbé par les dérives du système capitaliste) et le symbolise par deux animaux.
Le premier, qui donne son titre au livre/film, renvoie à une croyance populaire indienne selon laquelle il n'y aurait, par siècle, qu'un seul tigre blanc. Un animal aussi rare que majestueux, fier et sauvage prédateur, symbole d'indépendance et de liberté.
Le second, est le poulet. " 99,9 % des Indiens sont coincés dans la cage à poulets ". Volaille en cage, soumis et corvéable à merci, par tradition, habitude, et ignorance, consentant à son propre sort. Et pour qui la seule façon de s'en sortir serait le crime ou la politique.
Si le moyen du mail pour raconter sa vie m'a semblé peu réaliste, le reste est oppressant de véracité. L'acteur Adarsh Gourav ( Balram Halwai) excelle. Son interprétation est vraiment forte. Le film joue avec les émotions et est servi par une excellente bande-son.
Que vous ayez lu, ou non, le roman éponyme, je vous encourage à regarder ce film qui nous raconte l'Inde d'aujourd'hui, entre les images fantasmées et sa réalité actuelle.