" Pour un avenir moins sombre, j'ai quitté le navire à la nage..." , chantait une rapeuse en 2017. Deux ans plus tard, la comédienne Flora Souchier publiait elle aussi sa " sortie de route " poétique, son premier recueil. Le rap n'est pas si loin, puisque l'exaspération est le fruit d'une violence banalisée: la poétesse est " sans cesse à bout " d'être " sans cesse à bout portant " , (58).
Mais le rap rend sombre (ou bre-som), tandis que le poème, par sa brièveté, rend " sobre ": " Grandir est une violence sans fin / Je deviens de plus en plus sobre " (56). Le poème doit permettre de " désapprendre les routines du malheur " (24). La routine, c'est la route dont " sort " le corps, quitte à provoquer les accidents qui font venir les séduisantes sirènes des urgences: " Le chant de l'os / Qui draine mes accidents / Je l'écoute à la bougie / Il fait la sirène la nuit " (14).
" Cantilène " sans credo, journal intime de sensations, la poésie de Flora Souchier est une pensée déliée, irrationnelle, quelquefois animale: " On ne peut pas écrire à cheval on peut / sa pensée se déboite / Les gens la fatiguent mais les bêtes / Les bêtes savent " (58). La poésie ne maîtrise que partiellement cette animalité, contaminée par l'hybridité: " Mon corps recule comme un cheval malheureux " (47), avoue la poétesse, et plus loin: " À cheval et seule / Centaure des ruines " (50).
L'écriture nocturne parvient merveilleusement à liquider toute agitation mentale du langage: " La nuit / Terre d'asile d'où je bannis / Tout appel de conscience / [...] Calme - comme une oraison dans la panse " . Comme le Dieu de Jérémie (11:20), le poème de Flora Souchier sonde les reins et les cœurs... Ne penser qu'avec la panse, voilà en somme la grande réussite de ce court recueil déroutant.
Lire aussi la recension du poète Jocelyn Danga, et entendre l'éclairante interview de Flora Souchier sur Radio Royans. Sortie de route a reçu le Prix de la Vocation.
Flora Souchier, Sortie de route, Cheyne Éditeur, 2019, 16€.