Le roman se déroule à cheval entre la fin d’un siècle et le début du XXème siècle, avant la Première Guerre Mondiale. Les Frontenac vivent entre leurs maisons de Bordeaux et de Bourideys où ils possèdent une exploitation agricole. Michel, le père, est décédé depuis huit ans, laissant Blanche sa veuve avec leurs enfants, Jean-Louis, Yves et José, et leurs deux sœurs. L’oncle paternel Xavier Frontenac administre pour eux leurs biens et gère le domaine.
Visiblement, les deux sœurs n’intéressent pas l’écrivain, peut-être parce qu’une fois mariées elles perdront le nom de Frontenac ? Toujours est-il qu’il n’est jamais question de leur sort et qu’on va suivre l’évolution des autres, les fils qui passent d’enfants à adultes avec la substitutions de leurs rêves à la réalité de la vie comme pour Jean-Louis l’aîné, qui se voulait philosophe mais qui reprendra la direction de l’affaire familial. Yves, écrit des poèmes dès l’enfance et se verra publié par le Mercure de France, d’où une vie plus mondaine à Paris, loin de la pesante ambiance du Bordelais ; José qui a dépensé son héritage, s’engage dans l’armée et part au Maroc où il mourra.
Le destin de ses fils angoisse Blanche qui aurait souhaité que toute la fratrie se serre les coudes et participe à la vie de l’exploitation familiale. Elle-même, n’a jamais cherché à se remarier, toute sa vie a été sacrifiée à la recherche d’une union entre ses enfants en un lieu unique, sur leur propriété. L’oncle Xavier, célibataire, est fermement attaché à la tradition et se fait un devoir moral, en mémoire de son frère, pour gérer au mieux le capital pour ses neveux. Une mission quasi mystique qui va à son insu, lui gâcher sa vie quand il décidera de garder secret sa liaison avec Josefa, une femme d’une catégorie sociale inférieure, s’interdisant de l’introduire dans la famille Frontenac, ce qui serait un déshonneur, la cachant à Angoulême (« si respectueux de l’ordre établi et si éloigné de la vie simple et normale »). Le mystère Frontenac, cette tribu qui aujourd’hui nous paraît hors du temps, comme sortie d’une Amazonie du Sud-ouest de la France, réside dans ces rapports liés aux mœurs de l’époque pour une certaine catégorie sociale et au poids de la religion.
Quand on consulte la fiche Wikipédia consacrée à François Mauriac, il est aisé de constater que ce roman est très autobiographique : le milieu social, la famille, Yves le futur écrivain, le domaine familial etc. Et même si ce roman n’est pas mon préféré de l’écrivain, il y a de très beaux passages et il y règne une sensibilité que je qualifierais de proustienne quand il est question d’Yves et de sa mère Blanche. Un fils qui portera longtemps le poids du regret de n’avoir pu embrasser sa mère avant sa mort, alors qu’il en avait la possibilité. Reste la langue de Mauriac, parfaite comme toujours.