Cette Serenata, quel personnage ! Misanthrope, cynique, atrabilaire et plutôt imbue d’elle-même, elle ne va cesser d’enchaîner les désillusions et de constater le déclin d’un mariage aux fondations jusqu’alors solides. La faute à son mari bien sûr, puisqu’elle-même a bien du mal à se remettre en cause. Entendons-nous, Remington n’est pas tout blanc non plus. Manipulable, en attente permanente du soutien de sa femme, devenu un monomaniaque de l’effort n’ayant plus d’autres centres d’intérêts que les kilomètres avalés chaque jour, il est insupportable !
Lionel Shriver n’épargne personne. Elle appuie là où ça fait mal. Tout le monde en prend pour son grade et les nombreux personnages secondaires sont savoureux. C’est acide, débordant d’une ironie mordante et, au-delà de la dénonciation du délire narcissique d’une société américaine obsédée par le culte de l’effort et de la compétition, elle se permet d’égratigner au passage la culture woke et le politiquement correct poussé jusqu’à l’absurde. Son roman interroge aussi sur la difficulté à se projeter dans la vieillesse et surtout, pour un couple, la difficulté de vieillir ensemble.
L’épilogue est un peu idyllique et caricatural. Trop consensuel aussi, en tout cas en décalage trop flagrant avec tout ce qui a précédé. Dommage mais ça n’a aucunement gâché le plaisir que j’ai eu à découvrir une plume terriblement incisive.
Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes de Lionel Shriver (traduit de l’anglais par Catherine Gibert). Belfond, 2021. 385 pages. 22,00 euros.