Madeleine, Résistante – Tome 1: La Rose dégoupillée (Jean-David Morvan – Madeleine Riffaud – Dominique Bertail)
C’est l’histoire d’une jeune fille qui veut à tout prix s’engager dans la lutte contre l’occupant allemand. Madeleine Riffaud paraît frêle et menue, mais il ne faut pas se fier aux apparences, car sa détermination et son courage sont immenses. Elle n’a que dix-sept ans lorsqu’elle s’engage dans la Résistance en 1942 sous le nom de « Rainer », en hommage à Rainer Maria Rilke, l’un de ses poètes préférés. Un Allemand, qui plus est. Tout un symbole! Lorsqu’elle parvient enfin à faire son entrée dans la Résistance, Madeleine est ravie. Car en réalité, elle cherche à rejoindre ses rangs depuis de longs mois. Il faut dire que Madeleine a vécu les horreurs de la guerre de très près, et ce depuis qu’elle est toute petite. Dès 1931, alors qu’elle n’a que six ans, elle voit mourir trois de ses camarades d’école, tués par un obus de la Première Guerre mondiale. Neuf ans plus tard, elle est à nouveau confrontée à la mort lors de l’exode de 1940. Alors qu’elle est sur la route et qu’elle tente de fuir la zone de combats avec son grand-père et une cohorte de citoyens désemparés, elle survit miraculeusement à un raid de l’aviation allemande. Autour d’elle, des dizaines de cadavres jonchent le sol. « Je m’en étais tirée. Je ne savais pas que c’était le début d’une longue série. Pour la première fois, survivante… », raconte-t-elle. Quelques mois plus tard, l’humiliation que lui infligent des soldats allemands lorsqu’elle cherche un médecin pour venir en aide à son grand-père à la gare d’Amiens pousse définitivement la jeune Madeleine dans les bras de la Résistance. « Je ne savais pas comment, mais j’allais les trouver… et me battre à leurs côtés », se dit-elle ce jour-là, sans se douter des épreuves terribles qui l’attendent encore. Elle attrape d’abord la tuberculose, puis elle est violée par un membre de la Milice française. Pourtant, rien ne peut dévier Madeleine de sa trajectoire: elle veut s’engager et elle le fera. Envoyée dans un sanatorium des Alpes pour y soigner ses poumons, elle tombe par hasard sur un membre de la Résistance. Enfin! Il s’appelle Marcel Gagliardi, nom de code Martrais. Lui aussi est venu dans les Alpes pour se refaire une santé, au grand air de la montagne, avec une bonne alimentation. Rapidement, Madeleine tombe sous le charme de Gagli, qui devient son amant. En 1942, le jeune couple quitte le sanatorium pour rejoindre Paris. C’est à la capitale que « Rainer » fait enfin ses premiers pas de résistante, grâce aux contacts et aux réseaux de son compagnon. Mais leur amour survivra-t-il à leur engagement? Car les couples, c’est risqué dans la Résistance…
« Madeleine, Résistante » est l’une des bandes dessinées les plus fortes de cette rentrée. C’est un témoignage historique passionnant, dans lequel on découvre la description précise, étape par étape, du parcours d’une résistante. Ce n’est pas pour rien que cet album s’appelle « La Rose dégoupillée » puisqu’on y suit l’éclosion de Madeleine Riffaud depuis le moment où elle se dit qu’elle veut s’engager pour lutter contre l’occupant allemand jusqu’à ses premières actions héroïques. Le plus fort dans cette BD, c’est qu’elle raconte une histoire tout à fait vraie. Madeleine, qui a aujourd’hui 97 ans, a en effet raconté directement son histoire au scénariste Jean-David Morvan et au dessinateur Dominique Bertail. C’est sur base des longues heures d’entretiens menés avec elle qu’ils ont transposé en BD le destin incroyable de cette héroïne moderne, en s’appuyant sur les milliers de souvenirs et détails donnés par Madeleine. Pour l’anecdote, celle-ci ne voulait pas qu’on fasse de sa vie une BD, mais c’est Jorge Amat, un ami réalisateur, qui l’a convaincue que la bande dessinée n’était « pas seulement pour les mômes » et que ça valait la peine de raconter son histoire par ce biais. Il faut dire que Madeleine Riffaud a attendu 50 ans avant d’enfin parler de son expérience de résistante. C’est seulement en 1994 que Raymond Aubrac, haut responsable de la Résistance, est parvenu à convaincre Madeleine de prendre la parole au nom de tous les résistants qui ont donné leur vie pour la liberté. Depuis lors, elle a témoigné dans des écoles, dans des conférences et dans des films documentaires. C’est d’ailleurs comme ça que Jean-David Morvan a découvert son existence. La BD « Madeleine, Résistante » se focalise sur le rôle joué par Madeleine pendant la Seconde guerre mondiale, mais il y a mille autres choses à dire et à écrire sur ce personnage hors normes. Car même après la guerre, elle a continué à mener ce que Jean-David Morvan appelle « une vie d’aventures à la Tintin, mais du côté Résistance et anticolonialisme ». Toute sa vie, Madeleine Riffaud s’est engagée, notamment au Viêt Nam et en Algérie. Elle a été l’amie de Hô Chi Minh, de Paul Éluard, de Picasso. Ce dernier a d’ailleurs dessiné son portrait en 1945. Infatigable, Madeleine a également été poétesse, écrivaine et grand reporter. Bref, sa vie méritait bien une bande dessinée! Cerise sur le gâteau: son histoire est magnifiquement mise en valeur par le trait délicat de Dominique Bertail. On avait déjà pu admirer son travail dans le western transgenre « Mondo Reverso » ou dans le récit futuriste « Paris 2119 », sur un scénario de Zep, mais dans « Madeleine, Résistante », Dominique Bertail démontre plus que jamais son immense talent graphique. Ce qui frappe surtout, c’est son utilisation merveilleuse du bleu, qui est décliné sous toutes ses formes et qui donne à ce récit une ambiance particulière. « La Rose dégoupillée » est le premier acte d’une trilogie. A la lecture de cet album, on devine déjà que les prochains tomes seront dramatiques…