Quelqu’un à qui parler (Grégory Panaccione – D’après le roman de Cyril Massarotto – Editions Le Lombard)
« Joyeuzaanniiversaireeuuu, joyeuzaanniveeersaireeuu! » Sur la table de l’appartement trône un magnifique gâteau avec une trentaine de bougies, entouré de coupes de champagne. Samuel souffle toutes les bougies d’un seul coup. Mais bizarrement, personne ne l’applaudit, comme cela se fait d’habitude dans les fêtes d’anniversaire. La raison est simple: il n’y a personne pour faire la fête avec lui. Samuel est seul au monde dans son petit appartement parisien, sans le moindre ami pour le féliciter… Même ses vieux voisins, qui sont quasiment les seules personnes avec qui il a encore des contacts réguliers, ne sont pas là ce soir. Alors forcément, comme chaque année, quand il a vidé toutes les coupes de champagne à lui tout seul, Samuel broie du noir. Et comme chaque année, il finit par appeler Armelle, son ex, avec laquelle il a pourtant rompu depuis huit ans. Bien sûr, elle l’envoie une nouvelle fois sur les roses, en le suppliant d’arrêter de l’appeler. « Vis un peu! Sors, rencontre des filles, oublie-moi! », lui hurle-t-elle. Après avoir raccroché, Samuel est plus désespéré que jamais. Il décide alors d’appeler le seul numéro de téléphone qu’il connaît par cœur: celui de sa maison d’enfance. À sa grande surprise, le numéro fonctionne encore. Il y a même quelqu’un qui décroche. Il s’agit d’un garçon de 10 ans, qui s’appelle Samuel lui aussi… et qui fête son anniversaire aujourd’hui! Au bout de quelques minutes, Samuel le trentenaire se rend compte qu’il est en train de parler au petit garçon qu’il était. Cela paraît complètement impossible, mais peu importe: les deux Samuel parviennent à se parler comme s’ils vivaient à la même époque et comme s’ils étaient deux personnes différentes. Le trentenaire dépressif décide alors de téléphoner régulièrement au Samuel de 10 ans. Cela lui fait du bien, même si ces coups de fil sont pour lui une sacrée claque: comment ce petit garçon enthousiaste et optimiste qui rêvait d’être footballeur ou écrivain a-t-il pu se transformer en un citadin solitaire et aigri, qui déteste son boulot et qui ne sait pas comment aborder Li-Na, sa nouvelle collègue chinoise?
Comment avouer à l’enfant qu’on était qu’on n’a réalisé aucun de ses rêves? C’est la question principale posée par le roman graphique « Quelqu’un à qui parler », une formidable adaptation en bande dessinée d’un roman de Cyril Massarotto paru en 2017. Cette adaptation est l’œuvre de Grégory Panaccione, un auteur dont on avait découvert le talent de dessinateur il y a quelques années dans le génial récit muet « Un Océan d’amour », sur un scénario de Wilfrid Lupano. Dans « Quelqu’un à qui parler », Panaccione fait preuve du même brio et de la même réussite. Dès les premières pages de ce gros roman graphique de 250 pages, on est pris par le dynamisme de la mise en scène et des dialogues, qui alternent sans cesse entre humour et émotion. A plusieurs reprises, Grégory Panaccione – qui a travaillé un moment comme storyboarder dans l’univers du dessin animé – se passe une nouvelle fois des mots, l’album contenant quelques magnifiques scènes muettes. Mais la force de cette BD, c’est surtout la manière dont elle parvient à s’appuyer sur le personnage de « loser » de Samuel pour raconter une histoire qui peut tous nous parler, en particulier ceux qui ont dépassé la trentaine. « Quelqu’un à qui parler » s’adresse plus précisément à toutes les personnes qui ont l’impression d’avoir renoncé à leurs rêves d’enfance, en prouvant qu’il n’est jamais trop tard pour reprendre son destin en main… à condition de savoir écouter son enfant intérieur. Cette idée développée par Cyril Massarotto a forcément parlé à Grégory Panaccione puisque lui-même a toujours eu en tête de devenir auteur de bande dessinée, mais il a attendu très longtemps avant d’enfin publier ses premières planches. « Depuis l’âge de quatre ou cinq ans, je rêvais d’être dessinateur de BD », raconte-t-il. « J’ai d’abord travaillé dans la publicité, puis dans l’animation et je me sentais frustré de ne pas faire ce que je désirais depuis toujours. Un jour, en 2011, j’ai franchi le pas. J’avais quarante-deux ans, c’était un changement tardif mais qui a été très important pour moi. » On comprend mieux, du coup, l’enthousiasme et l’optimisme qui se dégagent de cette bande dessinée, qui est à coup sûr l’une des plus belles sorties de ce mois de septembre.