Editeur : Seuil
Nombre de pages : 319
Résumé : 1942. Héloïse Portevin a tout juste vingt ans lorsqu’un détachement allemand s’installe dans son village. Avides d’exploits, son frère et ses amis déclenchent un terrible conflit. Pour aider ceux qu’elle aime, Héloïse prend alors une décision aux lourdes conséquences...
2012. Loïc Portevin est envoyé par sa mère au fin fond du Berry pour y vider la maison familiale après le décès de sa grand-mère. Loïc tombe sur une importante correspondance entre cette dernière et un dénommé J. Commence pour lui une minutieuse enquête visant à retrouver l’auteur des lettres. - Un petit extrait -« – C’est une responsabilité qu’on a forcément. Tous les gens qu’on blesse et qu’on aime sont forcément les gosses de quelqu’un.
Bim. Une façon différente de considérer l’humanité me tombe dessus. C’est vrai. Ma mamie tondue a été le bébé de quelqu’un. Ma femme infidèle a été bercée par des bras aimants, sans doute, quand elle était petite. Mortel aussi, même si ça me débecte. Je suppose que quand on fait un môme, on compte sur le reste du monde pour ne pas nous l’abimer. On oublie que le reste du monde, il ne sait faire que ça. Je suis content de ne pas avoir d’enfants à lui sacrifier. »
- Mon avis sur le livre -
J’ai parfois le sentiment que de plus en plus d’auteurs décident d’écrire sous différents pseudonymes, selon les genres … D’un côté, je comprends la démarche, de l’autre, je ne peux m’empêcher de la trouver dommage : c’est comme s’ils n’assumaient pas d’être à la fois auteur de fantasy et auteur de contemporain, par exemple, comme si l’un excluait l’autre, comme si on n’avait pas le droit d’être auteur éclectique. Alors que personnellement, en tant que lectrice, j’aime les auteurs qui explorent allégrement plusieurs genres, j’aime voir comment ils adaptent leur plume à chaque type de récit. Ces auteurs sont les plus inspirants, car ils mettent en évidence la magie de l’écriture, qui fait qu’une seule et même personne arrive à écrire des romans tous aussi différents et uniques les uns que les autres ! Et puis, c’est tellement moins embrouillant de ne pas avoir à se creuser la tête pour se souvenir qui est le pseudonyme de qui, qui écrit aussi sous tel nom … Pour tout dire, heureusement que c’est noté sur la quatrième de couverture, sinon je ne me serai jamais souvenue que Mélanie Guyard était aussi Mel Andoryss, qui a écrit l’excellent Passageur qui m’avait tant captivée !
1942. Déjouant tous les pronostics des anciens du village qui affirmaient que la guerre n’atteindrait pas leur petit coin perdu, les allemands arrivent par la grande route et s’installent à la Meunière sans sembler vouloir partir rapidement. Les jeunes hommes du hameau, avides d’action et de vengeance, de gloire et de reconnaissance, mettent littéralement le feu aux poudres … Pour protéger Jean, son petit frère, Héloïse est prête à tout. Mieux vaut elle que lui. Tant pis si les regards haineux et les commérages les poursuivent toute sa vie … 2012. Tandis qu’il se débat avec un divorce compliqué – il se pourrait qu’il ait cogné l’amant de sa femme, réaction viscéralement masculine qui a conduit le tribunal à l’obliger de voir un psychiatre chaque semaine –, Loïc est envoyé par sa mère à la campagne pour vider la maison de feu sa grand-mère, afin de mettre enfin la vieille ferme en vente. Mais en nettoyant le grenier, Loïc tombe sur un coffre rempli de lettres d’un certain J. … Serait-ce son grand-père inconnu ? Bien décidé à élucider ce mystère, le jeune homme se jette à corps perdu dans la lecture de cette correspondance.
Certains diront peut-être que le va-et-vient entre le passé et le présent est désormais un schéma narratif vu et revu, et rejetteront donc ce roman au fin fond de leur pile à lire en décrétant qu’ils veulent de la nouveauté … Qu’ils pensent ce qu’ils veulent : pour ma part, c’est une construction que j’aime tout particulièrement ! C’est toujours un vrai plaisir que de suivre deux histoires parallèles, pour mieux voir comment elles s’entremêlent, comment le passé construit le présent. De voir aussi comment le présent a interprété le passé … ou comment il l’a oublié. De voir enfin comment la découverte de ce passé change le présent, alors même que rien n’a réellement changé. Il y a tout un côté initiatique dans le cheminement de Loïc, ce parisien expatrié dans une campagne où on l’accueille d’un tonitruant « c’est le petit-fils de la tondue, le fils de la bâtarde » … Lui qui venait seulement acheter quelques coquillettes pour lui et quelques croquettes pour le chien errant qui s’est entiché de lui, se retrouve affublé d’une identité pour le moins inattendue, héritage d’un passé dont il ignorait totalement l’existence ! Et voici que dans cette maison qu’il est venu vider, des lettres par dizaines s’offrent à lui, apportant autant de réponses que de questions …
Pour être parfaitement honnête, les chapitres consacrés à Loïc ont tout de même eu tendance à m’ennuyer quelque peu. Sans doute parce que j’ai beaucoup de mal avec la personnalité de ce jeune trentenaire, sarcastique et désinvolte, toujours prompt à sortir une réplique bien acerbe et à se considérer quelque peu comme le centre du monde. Pas méchant, mais pas forcément sympathique à mes yeux pour autant. Je ne me suis pas attachée à lui plus que cela … Par contre, je me suis tout de suite attachée à la jeune Héloïse, sa grand-mère donc. Une jeune femme discrète, tout comme sa mère, et la mère de sa mère avant elle, mais aux épaules autrement plus solides que celles de son frère cadet ou celles de son père : bien sûr, ils sont forts, mais ce ne sont pas eux qui mènent « les combats ordinaires, de ceux qu’on mène pour vivre, et pas pour crever ». Héloïse fait ce qu’elle a à faire pour protéger sa famille, protéger son petit frère avant tout, sans se préoccuper des conséquences, sans s’inquiéter de sa réputation. J’ai été touchée et impressionnée par ce dévouement sans limite, sans fêlure : même dans les moments les plus difficiles, les plus douloureux, Héloïse ne lâche rien, elle ne dit rien, elle encaisse les coups et les injures en se raccrochant à son objectif : protéger Jean.
Le protéger comment ? C’est bien là toute la question, tout le nœud de cette intrigue à double temporalité. Car les apparences, et les évidences d’ailleurs, sont souvent bien trompeuses : on est tous si prompts à sauter aux conclusions hâtives, à céder à la facilité, sans jamais envisager que les choses puissent être plus compliquées. Les « on dit » prennent alors le dessus sur les « non-dits », et s’imposent comme la seule et unique vérité, car la foule a besoin d’une vérité, quand bien même ce n’est pas la bonne, quand bien même une petite poignée de personnes sait pertinemment bien que ce n’est pas la réalité. « Ces âmes silencieuses ont pourtant beaucoup à raconter », m’a mis l’autrice en dédicace … Et nous, pauvre lecteur, nous tentons de percer le silence qui entoure ces âmes, ces cœurs, nous tentons de comprendre comment on a pu en arriver à la terrible scène décrite dans le prologue, nous tentons de saisir ce qui s’est réellement passé dans ce petit village occupé par les allemands. Et une chose est sûre et certaine : je ne m’attendais clairement pas à cela. Les révélations finales sont surprenantes, mais finalement parfaitement cohérentes : nous avons juste vu ce que nous voulions voir, nous aussi, sans chercher à voir plus loin que le bout de notre nez. C’est bien trouvé, et c’est parfaitement bien amené aussi !
En bref, vous l’aurez bien compris, ce fut vraiment une très belle lecture. J’ai certes eu un peu de mal avec la personnalité de Loïc, mais la force de caractère d’Héloïse a amplement compensé le côté un peu agaçant de son petit-fils. C’est un roman vraiment puissant et émouvant, admirablement bien écrit, remarquablement bien construit, qui happe le lecteur pour mieux le surprendre. La thématique des secrets familiaux est loin d’être innovante, mais Mélanie Guyard a vraiment su l’exploiter avec beaucoup de justesse et de délicatesse pour nous offrir un récit vraiment saisissant, à la fois très dur et très doux. Il y a des passages vraiment terribles, qui font monter les larmes aux yeux et qui nouent la gorge, des passages qui font mal au cœur car on sait au plus profond de nous qu’Héloïse est loin d’être la seule à avoir enduré ses souffrances, et encore moins à les avoir tues. Et il y a des passages vraiment émouvants, qui font aussi monter les larmes aux yeux et qui nouent aussi la gorge, mais parce qu’ils sont beaux, parce qu’ils expriment tout l’amour d’une sœur pour son frère, d’une mère pour sa fille. Vraiment, c’est un très beau roman que l’autrice nous offre ici, un roman puissant et poignant à lire et relire …