Editeur : Grasset
Nombre de pages : 680
Résumé : Bienvenue à Pagford, petite bourgade anglaise paisible et charmante : ses maisons cossues, son ancienne abbaye, sa place de marché pittoresque… et son lourd fardeau de secrets. Car derrière cette façade idyllique, Pagford est en proie aux tourmentes les plus violentes, et les conflits font rage sur tous les fronts. Entre nantis et pauvres, enfants et parents, maris et femmes, ce sont des années de rancunes, de rancœurs, de haines et de mensonges, jusqu’alors soigneusement dissimulés, qui vont éclater au grand jour et, à l’occasion d’une élection municipale en apparence anodine, faire basculer Pagford dans la tragédie.
- Un petit extrait -- Mon avis sur le livre -« La grande erreur commise par quatre-vingt-dix pour cent des êtres humains, selon Fats, était d'avoir honte de ce qu'ils étaient ; de mentir, de vouloir à tout prix être quelqu'un d'autre. »
Autant je n’aime pas particulièrement quand un auteur connu utilise un pseudonyme quand il change de genre, comme s’il avait honte d’une partie ou d’une autre de sa production littéraire, comme si c’était une tare que d’écrire à la fois de la littérature de l’imaginaire pour la jeunesse et de la contemporaine pour adulte … autant je suis toujours très méfiante et quelque peu agacée lorsqu’une maison d’édition ne s’appuie que sur le nom d’un auteur pour vendre son roman sortant de son genre habituel. C’est très probablement parce que la quatrième de couverture de ce roman ne dit absolument rien de l’histoire mais tout du fait qu’il s’agit du « premier roman pour adulte qui révèle sous un jour inattendu un écrivain prodige » en rappelant en très gros – au cas où on n’aurait pas reconnu son nom – que « J.K. Rowling est l’auteur de la série Harry Potter, lue et traduite dans le monde entier », que j’ai mis tellement longtemps à l’acheter en occasion au détour d’une bourse aux livres et plus longtemps encore à le sortir de l’étagère où il avait été oublié. Quand un éditeur ne joue que sur la notoriété de l’auteur pour vanter un livre, j’ai toujours peur que le livre n’ait aucune qualité par lui-même …
Barry Fairbrother n’avait aucune envie d’aller diner au restaurant avec sa femme ce soir-là … Tout ce qu’il désirait, c’était terminer tranquillement l’article qu’il était en train d’écrire sur la jeune Krystal Weedon, sa petite prodige de l’aviron issue du quartier très défavorisé dont il s’efforce de plaider la cause au conseil paroissial qui souhaite se débarrasser de cette responsabilité nuisant à l’image coquette de la petite bourgade de Pagford. Malgré tout, pour ne pas contrarier sa femme le soir de leur anniversaire de mariage, Barry a invité son épouse au restaurant. Il meurt d’une rupture d’anévrisme sur le parking, laissant derrière lui une femme éplorée, quatre enfants orphelins, une équipe d’aviron sans entraineur … et surtout, une place vacante, une place à pourvoir, au sein du fameux conseil paroissial. C’est le début d’une lutte sans merci entre les partisans de feu Barry Fairbrother, défenseur de la veuve et de l’orphelin, et ceux d’Howard Mollison, président du conseil paroissial, dont les principaux objectifs sont de faire fermer la clinique de désintoxication Bellchapel et de faire sortir le quartier des Champs de la juridiction de leur bourgade … Mais cette « campagne électorale » inattendue va avoir des conséquences tout aussi inattendues sur la vie des habitants de Pagford.
Comme cela m’arrive parfois, j’ai du mal à savoir si j’ai aimé ce livre ou non … tout simplement parce qu’il y a du bon, et même du très bon, et du moins bon, du beaucoup moins bon. Et quand bien même le « moins bon » est quantitativement parlant bien moins présent que le « très bon », il est suffisamment marquant pour me laisser un petit arrière-gout dans la bouche, une petite amertume qui gâche tout le reste. Et c’est d’autant plus dommage que ce petit quelque chose amer aurait très aisément pu être évité … car ce qui m’a réellement dérangé dans ce récit, c’est la vulgarité à outrance. Un peu, ça passe, trop, ça casse. Est-ce par volonté d’arracher une bonne fois pour toute l’étiquette « autrice jeunesse » collée à son front que J.K. Rowling a sombré dans cette surabondance de termes aussi grossiers ? Elle aurait pu, à mon humble avis, s’en dispenser, car le récit aurait été drôlement meilleur s’il n’avait pas été parasité par ce vocabulaire de charretier … En effet, l’histoire en elle-même avait parfaitement tout pour me plaire : contrairement à ce que j’imaginais, ce n’est pas un polar, loin de là, mais bien une satire sociale portée par un narrateur sarcastique à souhait, un portrait pas forcément très reluisant et un tantinet caricatural mais tout de même saisissant des aspects les plus inavouables des sociétés humaines … L’autrice lève le voile sur toutes ces petites et grosses hypocrisies du quotidien, mais aussi toutes ces petites et grosses misères bien planquées derrière les plus belles façades …
Tout commence par un événement des plus banals : un homme meurt d’une rupture d’anévrisme alors qu’il allait diner avec sa femme. Cela peut arriver absolument n’importe où, à n’importe qui. Mais Barry n’était pas n’importe qui : Barry était le principal opposant au Premier Citoyen de la petite bourgade de Pagford, et sa mort brise l’équilibre fort précaire qui régnait au Conseil paroissial. Et le cercueil en osier du pauvre homme est à peine mis en terre que tout le monde ne songe déjà plus qu’à une chose : qui va prendre sa place ? Et ce qui n’aurait pu être qu’une petite élection tranquille, comme cela aurait dû être le cas dans une localité aussi petite et insignifiante, se transforme en une véritable tragédie collective. Chapitre après chapitre, nous rencontrons une ribambelle de personnages, aussi différents les uns des autres, impactés de près ou de loin par le décès de Barry Fairbrother. Se dessine alors une immense toile d’araignée, un immense réseau de personnes dont les destins s’entremêlent et s’influencent quand bien même elles ne se connaissent pas directement. Ça, c’est quelque chose que j’ai énormément apprécié, contrairement à certains lecteurs qui déplorent le nombre conséquent de points de vue et les transitions invisibles entre chaque : oui, nous passons en l’espace d’une seule ligne d’un personnage à un autre, mais c’est justement ce passage de relais qui rend la chose aussi poignante !
Car il n’y a pas à dire, il y a derrière ce côté un peu satirique, ironique, sarcastique, quelque chose de bien plus profond. Comment ne pas être bouleversé par le destin de la jeune Krystal, qui derrière son insolence et sa violence cache en réalité un sacré fardeau : celui d’une mère en proie à la toxicomanie, celui d’un petit frère qui risque à tout instant de lui être arraché … Comment ne pas être chamboulé par la détresse silencieuse de la jeune Sukhvinder, la « moins que rien » qui fait la honte de ses parents, médecins, qui attire toutes les moqueries de la part de ses camarades de classe, et qui chaque nuit sort une lame de rasoir du ventre de son doudou pour exorciser sa souffrance dans la douleur … Bien sûr, dans le lot, il y en a certains que nous ne parvenons pas à plaindre, parce que c’est en faisant du mal aux autres qu’ils expriment leur mal-être, voire même que nous abhorrons purement et simplement, parce qu’ils sont tout bonnement horriblement imbus de leurs personnes et exécrables. Mais le véritable fil rouge de ce récit, ce n’est pas vraiment la vacance fortuite de ce siège au conseil, c’est bien plus cet engrenage furieux né des rancœurs et des jalousies, des haines et des envies, des passions et des cachotteries. Tandis que ceux qui ambitionnent de contrôler ce petit bout de monde se déchirent pour faire valoir leur point de vue étriqués, ceux qui ont véritablement besoin d’eux meurent à petit feu, parce qu’ils sont trop insignifiants pour être écoutés, pour être entendus …
En bref, vous l’aurez bien compris, ce fut une lecture en montagnes russes. Parfois, je me disais que c’était vraiment excellent, et d’autres fois, je grimaçais tant cela me mettait mal à l’aise. Malgré quelques clichés, inévitables quand on se lance dans ce genre de récits mettant en scène autant de personnages, j’ai plutôt apprécié le fond, cette chronique pleine d’humour noir sur ce qui se cache réellement derrière les masques et les apparences, cette chronique grinçante qui dévoile ce que le politiquement correct voudrait qu’on garde bien caché au fond des caves … Il y a les conflits sous-jacents, les rancunes inconscientes, il y a les conflits ouverts, les rancœurs pleines de colère … Il y a les douleurs qui se taisent, et celles qu’on met en scène … Et tout ceci se mélangent dans un amas informe d’existences qui se côtoient comme autant de petits drames. Mais c’est la forme qui m’a le plus dérangée : j’ai certes aimé ce côté sarcastique, justement, ce côté très incisif et mordant, mais je déplore vraiment cette vulgarité qui colle à la peau, qui dénature ce qui aurait pu rester un roman doux-amer, et qui en devient purement salace, et c’est vraiment très dommage, car ça aurait pu être vraiment très bon sans ce travers …