Hubert Antoine de retour à Portées-Portraits

Par Lucie Cauwe @LucieCauwe

Hubert Antoine.


Oublions le confinement, les reports, les annulations, les jauges et autres mesures sanitaires qui ont fait glisser les derniers dix-huit mois dans un curieux espace temporel, complètement rapetissé. Oublions tout ça car les formidables soirées Portées-Portraits sont de retour en leur lieu habituel, la Maison Autrique. Le thème de cette nouvelle saison est "Ce que je suis, Ce que nous sommes", occasion de mettre en avant ce qui se trouve caché derrière les masques: la singularité, la complexité et l'irréductibilité de l'humain.
Pour inaugurer la saison 2021-2022, ce lundi 4 octobre, la Compagnie Albertine, menée par Geneviève Damas et ses acolytes, ne pouvait dès lors faire un meilleur choix que celui du deuxième roman d'Hubert Antoine, le merveilleux "Les formes d'un soupir" (Verticales, 261 pages) dont seront lus, en musique, plusieurs extraits marquants. L'écrivain belge résidant au Mexique sera présent, tout comme il l'avait été lors de la lecture-spectacle, en mars 2018, de son premier roman, "Danse de la vie brève", prix Rossel 2016 (lire ici). Son texte sera lu par Anaïs Moray et mis en voix par Anne-Pascale Clairembourg, accompagné à la viole de gambe par Anne Bernard.
Dans ce deuxième roman, on retrouve les héros du premier, "Danse de la vie brève", Melitza et ses trois carnets où elle a consigné la dernière année de sa vie, son père veuf qui l'a élevée avec ses frères, Evo, le géant chaman huichol dont la jeune femme de vingt-trois ans est follement amoureuse. On retrouve aussi la manière originale d'Hubert Antoine de faire intervenir les personnages dans les dires ou les réflexions des autres. Toutefois "Les formes d'un soupir" s'ouvre sur un drame. Melitza a été assassinée le 27 octobre 2006 durant l'insurrection d'Oaxaca et Evo transporte son corps vers un lieu de sépulture connu de lui seul. L'écrivain a encore poussé plus loin sa mécanique littéraire et c'est une réussite. Cette fois, les dernières heures de Melitza et les trois mois qui ont suivi nous sont rapportés par elle-même, via son père qui, en 2008, deux ans après sa mort, le jour de son anniversaire, s'est lancé dans une expérience hallucinogène qui lui permet de retrouver sa voix.
Le procédé est magnifique et entraîne le lecteur dans l'âme de la jeune femme, dans les péripéties de son voyage et dans les secrets de son cœur tout en nous permettant de découvrir par cette voie détournée cet homme mystérieux et attirant en compagnie de qui elle aura passé ses neuf derniers mois. Les six premiers en vie et les trois autres, défunte mais tellement présente grâce à son souffle qui a été préservé de la plus curieuse des manières au-delà de son décès et même de l'abandon de son corps dans un lieu paradisiaque.
Histoire d'amour fou et absolu, ce deuxième roman est aussi un road-movie à travers le Mexique et sa violence, Hubert Antoine élargissant son propos à la question des migrants qui tentent d'entrer discrètement aux Etats-Unis avec de percutants personnages secondaires. Roman de deuil ponctué de nombreuses touches d'humour inattendues qui pourraient paraître saugrenues mais sont parfaitement appropriées, "Les formes d'un soupir" réjouit tout du long par la force de la vie, de l'amitié et de la transmission qu'il célèbre. La grâce d'une écriture très personnelle, réaliste ici, romantique là, déroutante dans le bon sens du terme, porte merveilleusement les échanges entre père vivant et fille morte, les réflexions de la jeune Melitza sur ce qui se passe après elle, les adresses aux lecteurs. Elle célèbre l'amour et le sexe, décline en épithètes homériques le bel Evo et glisse de bienvenues références littéraires. Un roman à danser comme y invite l'écrivain: 
"Ma femme voulait qu'on se souvienne d'elle en train de danser. Elle croyait, comme l'héroïne de ce livre, que le mouvement maintient le monde en équilibre:- Quand tu danses, tes pas font tourner la Terre.
Toi qui lis ces lignes, je te serais infiniment reconnaissant si tu pouvais honorer sa mémoire d'un bref geste de danse, d'une virevolte ou d'un pas de grâce.Avec ce simple hommage, tu deviendras un instant le cavalier d'une ombre et les limbes s'illumineront du plus beau sourire.Elle s'appelait Lise et c'était mon amour."

Pour lire en ligne le début des "Formes d'un soupir", c'est ici.
PratiqueOù? A la Maison Autrique, chaussée de Haecht, 266 à 1030 Bruxelles.Quand? Le lundi 4 octobre.A quelle heure? La lecture-spectacle commence à 20h15. Elle est  précédée à 19 heures d'une rencontre avec l'auteur.Durée? Une heure.Combien? 8 euros (possibilité de visiter tout la maison).Renseignements et réservation conseillée: 02/245.51.87 ou albertineasbl@gmail.comwww.compagniealbertine.be