Dune est un cas d'école. Dans le sens où l'œuvre de Frank Herbert constitue un exemple éloquent de la différence patente qui existe entre le support écrit (le roman) et un long métrage destiné à la projection en salle. Si la littérature laisse de manière non négligeable la subjectivité du lecteur au cœur du processus, si elle lui laisse le soin de construire un univers et décider du rythme de la narration -selon sa sensibilité et son expertise- le cinéma est beaucoup plus dirigiste et factuel, tout particulièrement quand il s'agit d'un blockbuster d'action ou de science-fiction. Le temps y est resserré, les enjeux dramatiques masquent à peine les enjeux économiques, et là où lire est aussi remplir les interstices d'une histoire pour se l'approprier, ce genre de film a tendance à privilégier l'explicite, le surlignage, les caractères gras. Voilà pourquoi on a souvent parlé de Dune en tant que saga inadaptable, tant le matériau de base est riche en sensations, informations, idées et fantasmagories, qui ne fonctionnent pleinement que lorsqu'elles sont de l'ordre de l'intime, gérées et digérées par le co-metteur en scène, le lecteur. Mais Denis Villeneuve connaît son Frank Herbert, et la peur, comme le récite le mantra de la sororité Bene Gesserit, doit passer sur lui, au travers de lui. Et lorsqu'elle sera passée, il restera l'adaptation ultime.
Dune, le roman de Frank Herbert, n'est pas un festival de retournements de situation systématiques, et il demande une réelle implication du lecteur, qui voit se déployer page après page un univers complexe, dense, qui oscille entre écologisme avant-gardiste, space opéra politique, et mise en place d'une grande figure messianique (Paul Atréides) selon les canons du genre, mais qui sera par la suite déconstruite, envisagée sous le pire aspect de la dictature absolue. Ici Villeneuve n'en est qu'aux prémices de cette longue histoire, et il a l'obligation forfaitaire de rendre accessible son projet en n'oubliant aucune des informations capitales qu'il convient de délivrer. L'humanité des personnages est au centre des différentes trames qui structurent le film, avec notamment la frustration et parfois l'aigreur de Paul envers une mère exigeante et manipulatrice, qui sert de mantra aux deux heures trente de spectacle. Nous sommes aussi immergés dans un univers où la technologie est au second plan, et mêmes les grandes scènes de combat se déroulent plutôt à l'arme blanche, avec des charges de bataillons humains, plutôt qu'avec le recours d'armes fabuleuses qui permettraient d'atomiser tout et tous en quelques instants. La dichotomie entre le bien et le mal est soulignée lourdement par l'opposition entre la concorde des Atréides, où le rire, les embrassades, les tons chaleureux de l'image, contrastent avec le caractère glauque et glaçant du fief des Harkonnen, où tout est présenté dans la pesanteur (au sens propre et figuré) et dans la noirceur. Ajoutons aussi que si Dune parvient à se hisser au rang de long métrage presque pictural, épique, c'est par la grâce de la bande son concoctée par Hans Zimmer, qui notamment sur la planète Calladan, évoque vaguement les highlands écossais, donne libre cours à son inspiration et place les personnages dans un contexte quasi mythologique, entre guerre de Troie et exploits des héros nordiques. Bien que Dune soit surtout (dans cette première partie) une histoire humaine, Villeneuve laisse une grande liberté d'expression à l'environnement, le décor : on appréciera tout particulièrement les gigantesques vaisseaux spatiaux silencieux, leur évolution fascinante et leurs désign épuré et élégant. La perméabilité entre passé et futur s'exprime elle dans des tempêtes de sable et les explosions, scènes très courtes et fragmentées, champs larges et plans parfaitement canoniques, sans avoir recours à aucun procédé filmique d'expérimental, ce que certains dénoncent comme un manque d'audace formelle patent. Mais c'est justement ce classicisme qui nous séduit, cette modestie et cette maîtrise qui évite de plastronner et se concentre sur l'essentiel, et le fait avec talent, avec respect. Car Dune est tout simplement un véritable film de science-fiction, un digne héritier du meilleur du genre, dont il épouse et reformule les codes, de l'esthétique à la technologie. Et cela faisait longtemps que nous attendions le retour du genre, à la recherche de nouveaux héros/hérauts.