On savait, en terminant la lecture d'"Angie!", le roman ados à deux voix de Marie-Aude et Lorris Murail (lire ici), qu'un tome 2 était écrit et allait sortir à la rentrée. "Souviens-toi de septembre!" (l'école des loisirs, Médium, 462 pages) est là, palpitant de bout en bout. Le décès de Lorris Murail, le 3 août dernier (lire ici), faisait planer un doute sur un éventuel tome 3. Le 2 ne se terminait-il pas d'ailleurs par ces mots: "Y aura-t-il un troisième épisode? Elle [Angie] l'ignore, nous l'ignorons, car oui, vraiment, demain est incertain". Des mots que Lorris Murail avaient posés dans la nuit du 7 au 8 mars 2021. On sait aujourd'hui que Marie-Aude Murail poursuit seule l'écriture du troisième tome des aventures d'Angie, dont les 150 premières pages ont été composées avec son frère.
Le roman débute par une scène historique, le bombardement du Havre par les Anglais le 5 septembre 1944. Une scène qui s'avèrera l'élément clé de cette intrigue allant davantage farfouiller dans la bonne société du Havre que chez les narcotrafiquants. Les deux Murail tiennent le lecteur en haleine tout au long de ce récit captivant qui se termine à Noël en une finale époustouflante. Ici aussi des secrets de famille, des secrets de bonne famille à nouveau, vont éclater au grand jour. Tout ça parce qu'Angie s'intéresse à un concours d'écriture du journal local. Le thème en est "Les enfants havrais durant la guerre 39-45". La demoiselle veut interviewer à ce sujet un notable et mécène local qui vient de fêter ses cent ans.
Bonne idée, dira-t-on, mais qui ne plaît pas à tout le monde dans l'entourage du vieil homme qui s'est laissé aller à quelques confidences, dont de curieux prénoms féminins. Son fils, sénateur de son état, est furieux. Sa petite-fille, juge de paix, essaie de comprendre mais s'inquiète des pleurs d'enfant qu'elle entend la nuit au Château-Maurice. Car toute la famille Lecoq vit dans la même belle demeure familiale qui abrite aussi la belle-mère de Manon, le secrétaire du député, les infirmières de jour et de nuit de l'aïeul, la cuisinière, le chauffeur, le jardinier. La magistrate s'inquiète encore davantage et se confie à Augustin avec qui elle est déjà en relation professionnelle quand elle reçoit des lettres de menaces dont une est claire "Souviens-toi de septembre". Enfin claire, elle le sera surtout à la fin de ce polar sociologique, profondément humain grâce à ses personnages bien présents, brillant par ses dialogues enlevés, amusant par ses innombrables touches humoristiques, clignant de l'œil à Tijl Uilenspiegel et à la Belgique, passionnant de bout en bout avec ses multiples péripéties comme la saga autour d'une vidéo qui fait le buzz et fait réfléchir au travail des médias ou la disparition d'une garde-malade.
"Augustin n'a besoin que d'un court instant de réflexion pour parvenir à la conclusion qu'il n'y a aucun problème à partir à la recherche d'une personne disparue en compagnie d'une stagiaire de 12 ans, de la chienne des Stups et d'une sexagénaire armée d'un cristal de roche."Extrêmement serrée et ramifiée, l'histoire des Lecoq livrera ses terribles secrets dont celui de la bague de famille garnie d'une magnifique émeraude au terme d'une enquête minutieuse d'Augustin Maupetit, souvent menée de sa propre initiative. Le policier dévidera en finale cette pelote emmêlée.
"Quelle embrouille! Avec ce Maupetit, plus on en apprend, moins on comprend."Impeccablement monté et haletant, "Souviens-toi de septembre!" se tourne régulièrement vers Shakespeare, reprenant même certaines lignes de "Hamlet", collant son caractère à un des personnages mais résumant aussi la pièce: "l'histoire d'un roi assassiné qui vient hanter son château pour demander à son fils, le jeune prince Hamlet, de le venger." Un roman qui éclaire un présent particulièrement embrouillé par un passé que certains pensaient bien enfoui et que d'autres ont ressenti sans savoir y poser de mots. Mais la vérité a ses droits et finit par éclater, terrifiante pour les protagonistes comme pour les lecteurs. Le parcours d'un homme dans une vie de tricherie et de vol.