Personne n'est éternel, pas même qui est habitué à sillonner le cosmos sur une planche de surf argentée, investi du pouvoir cosmique. Le Silver Surfer est un des êtres les plus nobles (et puissants) de l'univers Marvel, depuis son "sacrifice" utile pour sauver sa planète natale de Zenn-La, à savoir offrir ses bons et loyaux services à Galactus, quitte à lui désigner pour prochain repas des mondes qui n'ont rien demandé, eux. Dans cette aventure intitulée Requiem, le héraut le plus célèbre du dévoreur de planètes est atteint d’un mal incurable, d’une sorte de cancer qui s’étend sur sa peau argentée et ne lui laisse que quelques semaines à vivre. Le docteur Richards, des 4 Fantastiques n’y peut rien, ni aucune autre sommité scientifique. L’idée de départ est donc des plus simples : un être aux pouvoirs hors du commun se heurte à la plus banale des engeances mortelles, ce même cancer qui avait fini par terrasser Captain Marvel dans une autre œuvre de légende, déjà recensée sur nos colonnes virtuelles. Une histoire émouvante et adulte, qui met aux prises un grand héros sans peur et presque sans reproches, qui a toujours triomphé de toutes les épreuves, et qui doit fatalement se rendre à l’évidence : la maladie et la mort réclameront leur tribut, quoi qu’il dise ou fasse. De la rencontre avec Spiderman, pleine de retenue et d’émotions, au règlement d’un conflit entre deux races d’aliens si proches et pourtant si pleines de haine envers le voisin, le Surfer vit ses ultimes jours dans l’espoir d’illuminer et d’aider une dernière fois ses semblables. On fait donc le grand écart entre des moments intimistes (la douleur de la famille Richards de voir que rien n'y fait, aucune cure ne peut être envisagée, ou bien le splendide cadeau de Peter Parker pour l'anniversaire de Mary-Jane, avec la complicité d'un Surfer touchant et généreux) et space opéra d'envergure (au point que le Surfer devienne une sorte de dieu pour les mondes où il intervient, et fait cesser un conflit séculaire). Avant, cela va de soi, un dernier retour auprès de la bien aimée de toujours, Shalla Bal, et des pages poignantes, tristes, poétiques.
On retrouve beaucoup, sous la plume de Straczynski, de cette naïveté, cette innocence qui caractérisaient les fondamentaux mêmes du personnage tel que dépeint par Stan Lee. Le Surfer est un un philosophe optimiste, toute création est bénie à ses yeux, et il sillonne les immensités du vide, qui pour lui sont toujours pleins. D'espoir, de beauté, là où nous ne voyons rien. Ici le discours n'est pas noyé dans des dialogues pleins d'emphase, mais au contraire le scénariste va à l'essentiel, cherche le sentiment véritable, la drame humain, et ne se complait pas dans le soap opera grandiloquent ou dans le chemin de croix redondant. Tout en conservant un recul admirable sur l'emploi de situations de facilité pour guérir les maux de ce monde, comme nous le remarquons bien dans l'épisode où apparaît Spider-Man. Bien entendu, ce Requiem est truffé de références bibliques, christiques, jusqu'à son final, qui transcende l'existence et le sens du Silver Surfer, pour en faire quelque chose de plus, un phare qui illumine et réchauffe les cœurs et indique la voie. Un ouvrage absolument somptueux, présenté avec une jaquette qui une fois dépliée révèle une reproduction de dimension respectable; un écrin d'une beauté sidérante, qui plus est vendu à un prix qui reste très abordable (22 euros). Tout ceci est possible également grâce au talent du croate Esad Ribic. Sa peinture est discrète, suggère autant qu'elle montre. L'ensemble paraît régulièrement baigné dans une sorte de patine laiteuse, avec des couleurs crépusculaires et frugales, et il se dégage des pages un Silver Surfer aussi élégiaque que fantomatique, une sorte de spectre à la droiture morale et au courage exemplaire, et l'artiste joue avec dextérité des possibilités de l'histoire, entre moments de tensions cosmiques (le troisième épisode) et le drame intime des personnages bouleversés (l'ouverture et la conclusion). C'est d'ailleurs plus l'emploi de la lumière qui magnifie l'essentiel des scènes, que de la couleur véritablement. Il s'agit certes d'une histoire à part, hors continuité, mais rêver d'un meilleur hommage pour le départ définitif d'un héros aussi singulier n'aurait pas été possible. Une leçon de narration et d'illustration, qui n'a pas besoin de faire de l'esbrouffe.