Okoalu

Par Henri-Charles Dahlem @hcdahlem

En deux mots
En 1959, à la suite d’un crash aérien quatre enfants, deux garçons et deux filles, se retrouvent sur une île perdue du Pacifique. Chacun avec son histoire, ils vont désormais apprendre à vivre ensemble, à se réinventer. Rejoints par des créatures et des esprits, ils vont devoir choisir entre civilisation et sauvagerie.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Quatre enfants sur une île du Pacifique

Deux garçons et deux filles, rescapés d’un accident d’avion se retrouvent sur une île du Pacifique où ils vont devoir réinventer leur vie. Avec «Okoalu» Véronique Sales nous offre un joli conte philosophique sur l’humanité et ce qui la définit.

Disons-le d’emblée, il n’est pas très aisé d’entrer dans ce roman, car à l’image des protagonistes qui sont totalement désorientés sur l’île où ils viennent d’échouer, Véronique Sales a choisi de rendre par l’écriture cette confusion des sentiments et des impressions. Mais il suffit de se laisser porter par les images, par les pensées qui s’entrechoquent et petit à petit tout devient plus clair. Sur les pas d’Ingvar, douze ans, on va petit à petit déchiffrer ce nouveau monde. Quand le garçon prend conscience de ce qui lui est arrivé, il est seul et se demande où sont passés les autres, ceux qui ont pris l’avion avec lui en Australie en direction de l’Angleterre.
Il y a quelques minutes, son frère Sven, six ans, était pourtant avec lui. Un moment d’inattention aura suffi pour qu’il disparaisse. Pourtant il aurait tant besoin de lui, tant besoin des autres sur ce minuscule confetti perdu dans le Pacifique et sur lequel il va devoir désormais apprendre à vivre. De l’avion et du crash, on ne saura guère plus, car tout le récit se concentre sur la petite communauté, le microcosme rassemblé ici.
Car Ingvar vient d’apercevoir deux filles, celles qui étaient assises quelques sièges plus loin dans l’appareil, les anglaises Glencora et Mildred. Avec Sven, qui finit par réapparaître, ils sont les seuls survivantes.
Les premiers jours passent avec l’assurance que les secours ne vont pas tarder. Alors on s’organise pour trouver à boire et à manger, on organise un peu l’attente.
Seulement voilà, les jours passent sans qu’aucun signe extérieur ne leur parvienne. Il faut alors penser une nouvelle existence, à un nouveau mode de vie qu’ils peuplent de leurs souvenirs, de leurs histoires personnelles. Leur familles respectives et leurs connaissances viennent enrichir leur quotidien en même temps. Ces histoires qui les ont construits et dont les autres vont pouvoir profiter, car les grands – Glencora et Ingvar – ressentent le besoin de guider les petits – Mildred et Sven – vers la civilisation. Des règles dont leur instinct les pousse à s’affranchir, à vivre plus sauvagement.
Le tour de force de Véronique Sales est d’avoir réussi ainsi à effacer la frontière entre le réel et l’imaginaire. Voilà Ingvar, Sven, Mildred et Glencora rejoints par ceux qui sont restés en Suède, en Angleterre, aux Pays-Bas. Mieux, des bruits ou des curieuses traces, des faits un peu mystérieux vont renforcer cette idée qu’ils ne sont plus seuls et que des sauvages les épient, tout autant que les esprits qui les accompagnent.
La hiérarchie qui s’était imposée avec la nécessité de survivre devient de plus en plus pesante et lourde. Pour quelle raison faudrait-il se conformer à des règles? Se soumettre à un chef? Voilà les questions qui vont transformer le roman en un conte philosophique sur la définition de l’humanité, entre l’éducation et la peur, les besoins primaires et l’instinct animal.

Okoalu
Véronique Sales
Éditions Vendémiaire
Roman
276 p, 18 €
EAN 9782363583642
Paru le 19/08/2021

Où?
Le roman est situé sur une île du Pacifique, dans l’archipel des Lau. On y évoque aussi Cairns, la Suède avec Stockholm, Lulea et Lidingö, l’Angleterre et notamment Londres et Newcastle, les Pays-Bas et Niekerk, l’Italie et notamment Rome, Pérouse ou encore Orvieto, sans oublier Townsville.

Quand?
L’action se déroule en 1959 et les années suivantes.

Ce qu’en dit l’éditeur
C’était un matin du mois d’octobre 1959, à l’aéroport de Cairns ; comme il était très tôt, il faisait froid.
Quatre enfants, issus de deux familles différentes, montent dans un avion qui doit les emmener en Amérique, et de là en Europe où ils retrouveront des parents qui n’ont jamais fait preuve de beaucoup de sollicitude à leur égard. Ils n’arriveront pas à destination. Quand l’appareil sombre dans l’océan Pacifique, ils abordent, seuls rescapés du désastre, dans une île, qu’ils croient déserte, de l’archipel des Lau. Ils y resteront des années, au cours desquelles ils feront l’apprentissage de la solitude, celle de la sauvagerie et, pour finir, celle de la séparation. La survie, le renoncement, le poids de l’histoire individuelle et la possibilité d’y échapper : tels sont les thèmes que ce livre explore, dans une subtile polyphonie où se mêlent souvenirs, contes aborigènes et légendes scandinaves, et où se fait entendre, à chaque page, puissante, inexorable, la voix de la nature.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Goodbook.fr
Le littéraire (Agathe de Lastyns)
La Cause littéraire (Patrick Devaux)
Hebdoscope (Laurent Pfaadt)
Froggy’s delight
La viduité
Blog Un dernier livre avant la fin du monde
Blog littéraire de Pierre Ahnne

Les premières pages du livre
« Un morceau de bois avait attiré son attention. Il s’en approcha précautionneusement, comme de quelque chose de vivant, mais c’était mort, un amas de branches que le vent avait bousculées et qui avait pourri là, chaud, inerte, comme tout autour de lui. L’ombre des palmiers, de ce côté-là, était si épaisse qu’on y voyait à peine, et tout le reste déformé, rutilant, à l’éclat du jour.
Où étaient les autres?
Il s’éloigna un peu de l’océan. Il marchait avec difficulté, avec étonnement aussi, comme s’il avait avancé sur une mousse épaisse qui dans cette ombre paraissait bleue, comme si, en dessous, quelque chose avait subsisté, mouvant, trompeur. Plus loin, derrière les arbres, les feuilles plutôt, gigantesques, d’un vert cru, si luisantes qu’elles paraissaient laquées, qui tenaient lieu de tronc, de frondaisons, de tout ce qui d’ordinaire fait un arbre. Il entendait le bruit d’une eau qui ruisselait. À cette distance, il en ressentait la fraîcheur. Le ciel, et sa clarté, l’effrayaient: sûrement, une fois sorti de la forêt, on était moins à l’abri.
C’est alors qu’il le vit: il se tenait là, tout près, et le regardait. Quand il eut repris son souffle, que la terreur avait suspendu, il fit, sans réfléchir, quelques pas au-devant de lui — tout valait mieux que d’être seul. Et comme il avançait dans l’ombre traversée de lumière, il en discerna mieux les contours, le volume, la masse sombre, hérissée. Le cri des oiseaux, à cet endroit, semblait moins strident. Des rochers affleuraient, lisses, étagés. Le voile des feuilles, agité par le vent, retombait au-dessus du visage noir. C’était un homme, grand, taillé dans le bois une curieuse qualité de bois, imputrescible, rêche au toucher, troués de crevasses et d’entailles. Il avait au cou un collier de coquillages aux formes si compliquées qu’on les aurait dits soufflés dans le verre, à la place des yeux des galets polis, d’un blanc de craie, qui regardaient, sur la tête un curieux chapeau de forme plate.
Sven l’observait avec tant d’attention qu’il en oublia un instant le soleil jaune et blanc, acéré, au point qu’il dut reculer.
Assis dans l’ombre, il l’observait encore. Le temps avait atténué les traits les plus saillants de son caractère. Ses lèvres étaient serrées comme s’il avait été déterminé à ne plus prononcer aucune des incantations que l’on attendait de lui, ses poings fermés, les deux bras ramenés le long du corps; sur son visage, grave et proéminent, un air narquois, ou de désappointement. Sa contenance solennelle, effritée, ne paraissait pas peser bien lourd, à l’échelle de tout ce qui bruissait autour, toute la vie qui s’était accumulée là et bientôt l’emporterait, le lierre, les orchidées sauvages enroulées autour de lui, l’ombre éclaboussée de lumière, le bourdonnement des insectes, le cri des oiseaux, le bruit de l’eau. Il demeurait, au milieu de cette exubérance, hiératique, ses yeux blancs tournés vers la lisière et, au-delà, le large, d’où venait Sven.
Il se releva et se tint tout près du visage pétrifié, appuyant sa paume sur le bois tiède, irrégulier. Un papillon en sortit, orange, énorme.
L’eau l’appelait. Il alla jusqu’à elle: un ruisseau qui roulait sur un fond de sable blanc. Il s’allongea au bord et but autant qu’il put, dans sa main ouverte. Il en passa sur ses cheveux, que la sueur avait collés, sur son visage — il avait tant pleuré. Il décida d’en remonter le cours, parce qu’elle allait sans se soucier de lui, et lui parlait, pourtant, dans la transparence du jour. Il était difficile de progresser par là, au milieu des ronces. Il batailla jusqu’à n’avoir plus de courage — plus rien que l’envie de dormir, d’attendre là la fin du monde, Peut-être, quand on mourait là, se transformait-on en statue de bois dressée sous les étoiles, d’où sortaient, leurs ailes déployées, des papillons chamarrés aux reflets de cinabre?
Il sut que le temps avait passé parce que le soleil avait changé de place. Il était descendu sous la ligne des arbres; on le distinguait à travers, incandescent, à l’horizon.
La bourrasque se leva d’un coup, éparpillant les feuillages à la surface de l’eau. On aurait dit des nénuphars, se bousculant dans le courant et tournoyant, emportés, avant de disparaître.
Il fut surpris par l’averse: des gouttes tièdes, espacées, tambourinantes, légères comme l’est la pluie, pendant les soirées de printemps, au-dessus des étangs, du côté de Boden, et il en fut comblé; cette eau bienfaisante le rendait à la vie — une autre forme de vie, antérieure, magique. Derrière elle avançaient des nuages effilochés.
Où étaient les autres?
Il imagina qu’il les retrouverait s’il continuait à remonter le cours de l’eau. À mesure qu’il avançait, le bruit résonnait plus fort. C’était rassurant, d’une certaine manière; cela avait tout recouvert. Il n’y avait plus, dans l’après-midi miroitante, que Sven et l’eau.
Tout à coup, il se trouva face à une falaise de basalte, si haute qu’elle touchait au ciel, d’où tombait une cataracte. Le vacarme l’étourdit. Il semblait que, derrière lui, ramassée, toute l’étendue des arbres et des fourrés, tout ce qu’il avait traversé, se fût immobilisé en même temps que lui, ayant choisi d’attendre, avec lui, ce qu’il adviendrait, désormais, des mille pensées qui s’emmêlaient à ce moment, ténues, changeantes, dans son esprit, avec la fatigue et l’avidité.
À peine étendu sur le sol il s’endormit, la muraille au-dessus de lui. Plus haut encore, les nuages filaient, blancs, rapides, comme des chevaux échappés. »

À propos de l’auteur
Véronique Sales © Photo DR

Véronique Sales a publié plusieurs romans, parmi lesquels Un épisode remarquable dans la vie de Trevor Lessing (Éditions du Rocher, 2004), Le Livre de Pacha (Éditions du Revif, 2010) et Les Islandais (Pierre-Guillaume de Roux, 2011). (Source: Éditions Vendémiaire)

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