INTERVIEW – Philippe Geluck: « Les sculptures du Chat seront visibles à Bruxelles avant l’ouverture du musée »

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

Philippe Geluck est omniprésent en cette fin d’année 2021. Après avoir séduit des millions de visiteurs sur les Champs-Elysées à Paris puis sur les bords de la Garonne à Bordeaux, ses 20 sculptures monumentales du Chat ont fait le voyage jusqu’à la jolie ville de Caen, en Normandie, où elles seront visibles jusqu’au 2 mars prochain. L’occasion pour l’auteur belge de ressortir une version enrichie de son livre « Le Chat déambule », qui est à la fois le catalogue de cette exposition hors norme et un ouvrage passionnant sur son parcours artistique. Dans le même temps, Philippe Geluck publie « Les mots du Chat », un recueil des meilleurs aphorismes et bons mots de son célèbre matou. Une actualité chargée, donc, qui méritait bien une petite rencontre dans ses bureaux bruxellois.

Bonjour, Philippe Geluck. Pourquoi cette nouvelle édition du « Chat déambule »?

Tout simplement parce que la première édition de l’album était quasiment épuisée. Mais aussi parce que c’était frustrant d’avoir un catalogue qui avait été bouclé plus d’un an avant l’ouverture de la première exposition. Du coup, certaines sculptures n’y figuraient pas encore, étant donné qu’elles n’étaient pas terminées à l’époque. Et en plus, on n’avait pas les photos de l’installation de l’expo elle-même. Quand j’ai eu l’occasion de faire cette nouvelle édition du catalogue, j’en ai donc profité pour redessiner une couverture plus joyeuse et pour intégrer beaucoup de nouvelles photos, notamment des images des expos de Paris et de Bordeaux. Et puis, ce n’est pas tous les jours que je peux sortir un bouquin dans lequel on voit une photo de mes petits-enfants en train de couper le ruban sur les Champs-Elysées.  

En réalité, ce livre est bien plus qu’un catalogue puisqu’il mélange votre parcours, votre passion pour l’art, votre humour, mais aussi des pages plus didactiques sur la sculpture… Qu’avez-vous voulu y mettre exactement?

Tout d’abord, je tiens à préciser que je voulais un catalogue à un prix abordable. Cela peut sembler être un détail, mais cela a son importance pour moi parce que le Chat est un héros populaire. En plus de ça, c’est effectivement un triple album puisqu’on y retrouve à la fois le contenu entier d’un album de dessins, un guide pratique sur les différentes étapes de la fabrication des sculptures ainsi qu’une double page consacrée à chacune des 20 sculptures de l’exposition, et enfin toute une partie où je raconte mon parcours, mes émerveillements d’enfance et mon intérêt pour la sculpture. Il contient aussi un entretien avec Jean-Claude Loiseau, de même qu’une incursion sur l’humour dans l’art. Et puis bien sûr, il y a les fabuleuses photos de Thomas Van Den Driessche, qui a accompagné toute l’aventure depuis le moment où je torsade mes fils de fer jusqu’à la fonderie.

On sait que l’expo va continuer à circuler. Avec toujours les 20 mêmes sculptures ou est-ce qu’il y en a d’autres qui vont venir s’ajouter à la collection?

Je ne peux pas encore raconter ce qu’elles représenteront, mais j’en ai quatre autres en préparation. Bien sûr, le processus est long. Elles risquent donc de ne pas être prêtes en format monumental avant au moins un an.

En lisant ce livre, on découvre à quel point vous aimez la sculpture. Est-ce qu’aujourd’hui, vous vous considérez avant tout comme sculpteur?

Non pas du tout, je reste un sculpteur occasionnel. On pourrait même dire un sculpteur amateur. Mais je suis amateur en tout, puisque je me considère aussi comme un dessinateur amateur. Le seul diplôme que j’ai obtenu, c’est celui de comédien et je ne suis plus comédien depuis 30 ans. Cela dit, c’est vrai que je me suis vraiment amusé à faire de la sculpture. En préparant ce catalogue, j’ai d’ailleurs retrouvé des têtes que j’avais sculptées quand j’étais jeune. Quand je suis retombé dessus, ça a été comme une madeleine de Proust. Aujourd’hui, j’ai perfectionné mes techniques de sculpture et on peut dire que je suis au point.

Finalement, est-ce qu’on peut dire que la télévision et la bande dessinée n’ont été pour vous que des étapes intermédiaires pour arriver à la sculpture?

A ce moment-là, on pourrait aussi bien dire que toute la vie n’est faite que d’étapes intermédiaires avant la mort, même si la mort n’est pas le but final. Tout ce que je viens de faire en matière de sculpture me paraît effectivement indispensable, mais par contre, je n’ai certainement pas fait tout ce que j’ai fait au cours de ma vie pour en arriver là. J’ai été comédien, j’ai fait de la télé, j’ai fait de la radio, j’ai fait du dessin, et tout ça passionnément, mais jamais en me disant que mon objectif final était de devenir peintre ou sculpteur. Je peignais et je sculptais déjà quand j’avais 17 ans et je continue à le faire maintenant que j’en ai 67. Le seul fil rouge dans toutes mes activités, c’est que j’ai toujours voulu faire marrer les autres, et aussi me faire rire moi-même. Et pour ça, la démarche est exactement la même, que ce soit en dessin ou en sculpture. Mais il est vrai qu’avec cette expo, ça a pris une ampleur inattendue. Etre sur les Champs-Elysées avec mes sculptures n’a jamais fait partie d’un plan de carrière!

Les sculptures du « Chat déambule » sont actuellement visibles à Caen, après être passées par Paris et Bordeaux. Elles seront ensuite à Genève puis à Milan. Est-ce qu’il va falloir attendre l’ouverture de votre musée du Chat, qui est prévue en 2025, pour enfin les voir à Bruxelles?

C’était le projet initial, mais j’avoue que je suis en train de réfléchir à une autre solution. Je discute actuellement avec la Ville de Bruxelles pour voir s’il y aurait moyen de faire passer la tournée par Bruxelles avant l’ouverture du musée. Cela pourrait déjà être en 2022, si jamais l’expo à Milan est décalée, mais il est encore trop tôt pour le dire. L’idée est en tout cas de le faire avant 2025.

Et si l’expo vient en Belgique, ce sera à Bruxelles et pas ailleurs?

Il y a des propositions qui m’ont été faites aussi bien du côté flamand que du côté wallon, mais selon moi, Bruxelles le vivrait mal si je décidais d’aller dans une autre ville belge. Je pense que ce serait mal perçu.

Le projet de musée du Chat, il en est où? Il ouvrira bien en 2025, comme prévu?

Les travaux ont commencé. Je suis passé il y a quelques jours sur les lieux et le bâtiment qui était situé à l’emplacement du futur musée a été abattu. Je dois maintenant attendre que la Région de Bruxelles-Capitale construise le nouveau bâtiment pour pouvoir m’attaquer à tous les aménagements qui sont prévus dans la convention.

Et les statues du Chat, elles seront visibles dans le Musée?

Non, ces statues-là ne pourront pas entrer dans le musée parce qu’elles sont trop hautes. En plus, les sculptures auront rejoint les collections privées à ce moment-là. Aujourd’hui, elles appartiennent déjà à des collectionneurs, mais ils nous les laissent à disposition pour la tournée. Certains ont d’ailleurs mentionné leur nom sur le socle des statues.

Elles sont toutes vendues?

On en a vendu 21 pour le moment. Vous allez me dire que c’est bizarre, vu qu’il n’y a que 20 statues au total, mais il y en a certaines qui ont été vendues deux fois.

Combien coûte une de ces sculptures en bronze du Chat?

Leur prix était de 250.000 euros au départ mais depuis lors, leur valeur a augmenté. Aujourd’hui, elles valent entre 360.000 et 380.000 euros.

Avec le recul, que pensez-vous de la polémique née il y a quelques mois autour du musée du Chat? Ça vous a blessé?

C’est une polémique qui a n’a finalement duré que deux semaines. Certes, ça m’a paru long sur le moment, mais ça s’est rapidement terminé parce que ce qui m’était reproché n’était absolument pas argumenté. Du coup, ça n’a forcément pas tenu sur la longueur. Pour le musée, tout a été fait de manière transparente, limpide, officielle. Le projet a même été voté à la quasi-unanimité au parlement de la Région de Bruxelles-Capitale. Qu’est-ce qu’on peut faire de plus? Cette polémique a clairement été un peu inutile, mais elle a permis à des gens d’exprimer leur animosité. Et je la comprends, parce que je pense que cette animosité est venue d’un milieu de la culture qui est en souffrance. Ce milieu a pris la crise du Covid en plein dans les gencives et il a donc mal vécu le fait que la Région annonce l’obtention du permis de construire pour le nouveau bâtiment pile au moment de la fin du deuxième confinement. Certains ont sans doute lu cette décision en diagonale et ils ont cru que la Région allait donner 10 millions d’euros à un artiste qui n’avait pas besoin de ça. Et encore, quand je dis artiste, sans doute qu’ils ne me considèrent pas comme tel. Il y a donc des arguments qui sont sortis, mais qui ne tenaient pas la route. Je reconnais que ça m’a fait mal à l’estomac au moment même, mais ça a aussi eu une vertu, puisque ça a amené beaucoup plus de gens à se prononcer en faveur du musée.

Il y a une planche du « Chat déambule » dans laquelle votre personnage classe les différents arts en catégories, en mettant la BD en dernier. Pensez-vous que la BD continue à être considérée comme un art mineur?

Bien sûr, c’est une planche empreinte d’autodérision, puisque j’y place même le dessin humoristique après la bande dessinée (rires). Est-ce que la BD est un art mineur? En fait, on s’en fout. Qui peut dire ce qui est noble ou pas noble, ce qui est important ou pas important? Les gens qui se donnent le droit de juger de ces choses se sont toujours trompés, à toutes les époques. Au dix-neuvième siècle, on a méprisé les Impressionnistes. Je me dis donc que si on ne veut pas que je sois un artiste, ce n’est pas grave. Tant mieux si on me voit comme un rigolo ou un pitre. Moi, la seule chose dont j’ai envie, c’est de faire marrer les autres. Dans le catalogue, j’ai d’ailleurs mis en exergue une phrase de Tchekhov: « Les œuvres d’art se divisent en deux catégories: celles qui me plaisent et celles qui ne me plaisent pas. Je ne connais aucun autre critère ». Pour moi, tout est dit. Personne n’a le droit de dire aux autres ce qui est bien ou pas bien.

Les sculptures qui font rire, c’est plutôt rare, non?

C’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de sculpteurs rigolos. Il y a Jean Tinguely, qui était le compagnon de Niki de Saint Phalle. Tous les deux me mettent en joie. Il y a aussi Salvador Dali, qui avait fait la Vénus de Milo aux tiroirs. Certaines sculptures de Jeff Koons sont également plutôt marrantes. Ce qui m’amuse, c’est d’observer la tête des gens devant mes sculptures du Chat. Le fondeur avec lequel je travaille me dit qu’ils ont tous la banane, ce qui est quand même très rare dans les expositions d’art contemporain. Il y a des artistes que j’admire énormément, comme Bernar Venet ou Soulages par exemple, mais quand on regarde leurs œuvres, on est très sérieux. Chez moi, par contre, les gens sont hilares. C’est une fierté pour moi de susciter ce genre d’émotions parce que je trouve que le rire est l’une des plus belles émotions que l’on puisse ressentir.

Parallèlement à ce catalogue, vous sortez un livre intitulé « Les mots du Chat ». Est-ce que vous mettez un point d’honneur à sortir au moins un nouveau livre chaque année?

Bien sûr, l’éditeur souhaite ardemment que je le fasse, mais ce n’est pas seulement une démarche commerciale. Il y a une maison d’édition qui doit vivre et c’est une des raisons pour lesquelles je ne me suis jamais laissé tenter par l’autoédition, comme d’autres auteurs l’ont fait. Quand je suis arrivé chez Casterman, Hergé venait de mourir, mais c’étaient Hugo Pratt, Jacques Martin et d’autres grands auteurs qui faisaient vivre la maison et qui ont permis à des jeunes auteurs d’émerger. Maintenant que je fais à mon tour partie des vieux auteurs de la maison, c’est entre autres grâce à mes albums que l’éditeur peut continuer à découvrir de jeunes talents. Cette transmission me paraît à la fois vertueuse et utile.  

Comment est né ce projet des « Mots du Chat »?

C’est une idée qui me trotte en tête depuis plusieurs années. Il m’est déjà arrivé de dire des phrases du Chat sur scène et j’ai remarqué qu’elles ont un côté « punchline » qui fonctionne très bien, presque comme un spectacle de « stand-up ». En réalité, ces phrases sont tirées de dessins du Chat, mais sans le Chat qui les dit. Il y a des inédits dans le livre, mais l’exercice consistait avant tout à repérer les gags qui peuvent fonctionner même sans le dessin. J’ai donc relu tous les anciens albums et j’en ai extrait plein de phrases qui ne fonctionnent pas seulement visuellement mais aussi à la lecture ou à l’audition, que ce soit sur scène ou en radio, un peu comme des brèves de comptoir. C’est un travail qui m’a pris deux ans.  

Et un nouvel album du Chat, c’est pour quand? L’année prochaine?

Il existe aujourd’hui 23 albums du Chat. Pour fêter ses 20 ans, j’ai sorti le douzième et quand je fêterai ses 40 ans dans un an et demi, je sortirai le vingt-quatrième. Mais l’année prochaine, ce sera autre chose.

Vous pouvez nous en dire un peu plus ?

C’est trop tôt pour le révéler. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ça va être pas mal (rires).