Le lauréat 2021 du prix Goncourt découvre ceux qui l'attendent.
(c) Pierre Assouline.
Mohamed Mbougar Sarr.
(c) Académie Goncourt.
Voilà donc un jeune écrivain choisi par la plus prestigieuse des récompenses littéraires en France. Un choix audacieux car Mohamed Mbougar Sarr n'a encore que quatre romans à son actif, les deux derniers étant publiés dans la petite maison indépendante de Philippe Rey. On notera que le Sénégalais qui vit en France remporte le prix pile cent ans après le Martiniquais René Maran qui fut le premier écrivain noir à avoir reçu cette distinction pour "Batouala" (Albin Michel). On remarquera aussi que la malédiction d'être multisélectionné et jamais primé n'a pas fonctionné pour lui. Heureusement.
"La plus secrète mémoire des hommes" est un roman virtuose, à la fois magistral roman d'apprentissage et saisissante enquête sur les traces d'un mystérieux auteur. L'éditeur le présente ainsi: "En 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938: "Le labyrinthe de l'inhumain". On a perdu la trace de son auteur, qualifié en son temps de "Rimbaud nègre", depuis le scandale que déclencha la parution de son texte. Diégane s'engage alors, fasciné, sur la piste du mystérieux T.C. Elimane, se confrontant aux grandes tragédies que sont le colonialisme ou la Shoah. Du Sénégal à la France en passant par l'Argentine, quelle vérité l'attend au centre de ce labyrinthe?Sans jamais perdre le fil de cette quête qui l'accapare, Diégane, à Paris, fréquente un groupe de jeunes auteurs africains: tous s'observent, discutent, boivent, font beaucoup l'amour, et s'interrogent sur la nécessité de la création à partir de l'exil. Il va surtout s'attacher à deux femmes: la sulfureuse Siga, détentrice de secrets, et la fugace photojournaliste Aïda…D'une perpétuelle inventivité, "La plus secrète mémoire des hommes" est un roman étourdissant, dominé par l'exigence du choix entre l'écriture et la vie, ou encore par le désir de dépasser la question du face-à-face entre Afrique et Occident. Il est surtout un chant d’amour à la littérature età son pouvoir intemporel."
Mohamed Mbougar Sarr s'expliquait ainsi au moment de la parution de son roman. Il semble avoir été compris.
"J'ai mis mon obsession de la littérature, ma fascination pour l'écriture au cœur d'une histoire romanesque et incarnée, celle d'un écrivain mythique dont le destin a traversé le terrible XXe siècle, T.C. Elimane. Il est imaginaire, mais ressemble à plusieurs écrivains africains du siècle dernier et même d'aujourd’hui. Il symbolise le sort littéraire et existentiel de nombre d'auteurs africains établis en Occident, et dont la réception des œuvres, leur perception dans le champ littéraire européen, sont souvent ambiguës ou fondées sur des malentendus. Comment et pourquoi lit-on les écrivains africains vivant et publiant en France?J'ai inscrit ces questionnements philosophiques ou sociologiques à l'intérieur d'une véritable fiction. Elle prend la forme d'une quête et d'une enquête, d'un polar littéraire, d'un jeu de piste. J'ai écrit mon livre le plus personnel, même s'il n'a rien d'une autofiction. Après trois romans, je souhaitais m'éloigner des sujets traditionnels de la littérature dite africaine. Le personnage qui cherche, Diégane Latyr Faye, pourrait être mon double. Il cherche le grand écrivain disparu. Il cherche la valeur de son propre engagement littéraire. Il cherche sa génération littéraire ou l'enterre. Il cherche évidemment l'amour. Mais il se pourrait que l'objet véritable de sa quête se situe ailleurs, un ailleurs mystérieux et qui se trouve, peut-être, dans la plus secrète mémoire des hommes."
Jury: Didier Decoin (président), Eric-Emmanuel Schmitt, Pascal Bruckner, Paule Constant, Patrick Rambaud, Tahar Ben Jelloun, Camille Laurens, Françoise Chandernagor, Philippe Claudel (secrétaire) et Pierre Assouline.
Champagne! Le prix Renaudot 2021 a, lui, couronné la Belge de Paris Amélie Nothomb, ce même mercredi 3 novembre, pour son roman "Premier sang" (Albin Michel), au deuxième tour de scrutin par six voix contre deux à Anne Berest et une à Abel Quentin. Un livre magnifique où elle rend hommage à son père à sa façon, en se glissant dans sa peau (lire ici).
Le Renaudot essai va à Anthony Palou pour "Dans ma rue y avait trois boutiques" (Presses de la Cité). Un témoignage sur la disparition des petits commerces locaux.
Le Renaudot poche va à Olivier Rony pour sa biographie du comédien "Louis Jouvet" (Gallimard, Folio). Jury: Christian Giudicelli, Frédéric Beigbeder, Dominique Bona, Patrick Besson, Georges-Olivier Châteaureynaud, Franz-Olivier Giesbert, J.M.G. Le Clézio, Stéphanie Janicot, Cécile Guilbert et Jean-Noël Pancrazi.