Dýja est sage-femme et vit dans l'appartement de sa grand-tante, Fífa, appartement qu'elle a reçu en héritage. D'ailleurs, Fífa ne lui a pas laissé que l'appartement : les meubles, ses manuscrits, sa profession sont des biens communs qu'elles se partagent. Comme Fífa, Dýja est célibataire et vouée à son métier. Pourtant on ne peut pas dire que ce fut son premier choix mais disons que son itinéraire de vie l'a amenée à suivre la lignée ancestrale, toutefois fortement concurrencée par un autre corps de métiers (celui des pompes funèbres, celui des parents de Dýja ) dans un tout logique : la naissance et la mort, les deux bouts d'une existence. Parce que finalement tout est lié.
Entre les naissances qui se succèdent et ne se ressemblent pas, les sorties de couches à surveiller, l'appartement à réaménager pour gagner en lumière, les appels tempétueux de la frangine météorologue et les mémoires de Fífa à découvrir et à suivre, Dýja n'a pas une seconde pour elle. Et cela tombe bien : un visiteur australien débarque pour occuper l'appartement du dessus et peut-être un peu plus d'espace.
La vérité sur la lumière emprunte le titre d'un des écrits de Fífa et aussi sa principale quête existentielle. Dans ce roman, Auður Ava Ólafsdóttir brosse deux héroïnes : une qui vit, l'autre qui se dévoile par ses écrits. Et ce qu'on constate en lisant cette œuvre foncièrement géniale est finalement qu'on en sait plus sur Fífa et sa profonde intelligence (notamment sa réflexion sur la vie) que sur sa petite-nièce (qui est loin d'être idiote, fait preuve de générosité, de bonté, de discrétion, d'empathie et de partage : une autre belle âme également).Dans La vérité sur la lumière, Dýja confirme que les différents calepins de notes laissés par Fífa forment un foutu bordel : on devine difficilement et sans assurance l'ordre chronologique de ses œuvres et de ses remarques. Et je vous confirme que La vérité sur la lumière est un roman assez bordélique tout en étant très organisé : il est définitivement inclassable ! Parce que sans se forcer à l'exercice de style comme on peut le voir chez certains auteurs français, Auður Ava Ólafsdóttir met en pratique ce qu'elle écrit : ainsi on évolue entre trois histoires (le quotidien de Dýja nourri par des rencontres, des échanges avec les copines, les collègues, les futurs parents, les inconnus ; la vie de Fífa et le passé des sage-femmes de la famille ; les écrits de Fífa) sans aboutir à une conclusion certaine sur l'essence même de la lumière, mais en ayant abordé plein de chemins de traverse avec comme moyens de transport : la poésie et le tricot.
Comme toujours chez Auður Ava Ólafsdóttir, les personnages sont toujours un peu hors sol mais il y a une telle énergie, une telle facétie, une telle inventivité que tout passe, mais alors vraiment tout. Il y a des mots cités de toute beauté, un univers tellement réjouissant, à la fois terre-à-terre et complètement stellaire - rien n'est prévisible-. Il y a toujours cette écriture de la contemplation qui m'émerveille et dont je ne me lasse pas. Bref, La vérité sur la lumière est un roman qui va rester longtemps dans ma mémoire comme celui qui ne dit pas tout mais qui me nourrit et offre plein de perspectives, comme une aurore boréale. Fantastique.
page 48 : "On oublie les gens. Au bout de trois générations, tout le monde est oublié. Bientôt, il n'y a plus qu'une seule personne qui se souvienne de nous. Notre nom dit vaguement quelque chose à quelqu'un. Et puis nul ne sait plus que nous avons vécu."
page 127 : dans le paragraphe intitulé Le plus difficile, c'est de s'habituer à la lumière.
"... les trous noirs sont des zones qui absorbent toute lumière et avalent toute matière sans jamais les laisser ressortir. Leur comportement est tellement étrange qu'il remet en question toutes les notions communément admises par la science... Ils abolissent jusqu'aux notions de temps et d'espace telles que nous les connaissons." ...
puis page 152 : "Au centre de l'univers, il y a un trou noir et au centre de ce trou noir, il y a la lumière."
Éditions Zulma
Traduction d'Éric Boury.
autres avis : Hélène , Cathulu
De la même autrice : L'embellie - L'exception - Le rouge vif de la rhubarde -Miss Islande - Ör - Rosa candida