Dans la série des cafés littéraires mythiques de Paris, il y a quelques établissements que tout amoureux des livres se doit de connaître à défaut d’y prendre un verre. Saint-Germain-des-Prés ! Rien que cette évocation suffit à allumer des étoiles dans les yeux des passionnés de littérature. La fascination pour ces deux célèbres cafés littéraires de Paris, Les Deux Magots et Le Café de Flore, n’est pas prête de s’éteindre. Ces confinements successifs ont si durement touché nos cafés et librairies, qu’en soutien je n’ai rien trouvé d’autre à faire que ce que je sais faire : écrire sur ce blog. En espérant que vous éprouverez autant de plaisir à lire cet article que j’en ai pris à explorer leur histoire et à essayer de la faire revivre ici. Et on se plait à imaginer ces deux cafés littéraires rivaux, les auteurs choisissant de fréquenter l’un ou l’autre sur la base de différents critères. Le café des Deux-Magots abritera ainsi les conversations existentialistes (et amoureuses) du couple Beauvoir/Sartre avant qu’ils n’investissent le Café de Flore. Auteurs et artistes se croisent alors dans ces cafés parisiens qui voient naitre les différents courants artistiques (surréalisme, existentialisme, dadaïsme …) et éclore les talent. Les cafés littéraires sont des lieux de rencontre, de partage, des endroits où l’on peut écrire, confronter ses idées, car être artiste, auteur, penseur, ce n’est pas vivre dans un grand confort à l’époque et leur chambre de bonne est souvent trop exigüe et froide pour être un lieu de création littéraire, ou doit être partagée, ce qui n’est pas propice à l’écriture. Une guerre se termine, une autre commence et les lieux que fréquentent les écrivains changent… C’est curieux comme nos guerres “modernes” ferment ces mêmes endroits qui permettaient à la vie intellectuelle et artistique d’antan de s’exprimer, de prendre forme. Aujourd’hui les rencontres et la création se font sur des réseaux sociaux et derrière des écrans. Peut-être que je suis old-school, mais je suis nostalgique de cette époque où au Café de Flore, un Paul Boudal choyait ses célèbres clients à la créativité débridée (mais souvent fauchés). Ou encore, de ces grands auteurs nord américains où l’on pouvait croiser aux Deux Magots ou à La Closerie des Lilas car ils fuyaient leurs chambres de bonne pour venir y boire un verre et échanger avec d’autres compatriotes. Aujourd’hui ce sont davantage des cafés élitistes où se montrer, que des endroits où la création littéraire et artistique bouillonne et prend vie. Les écrivains écrivent désormais au chaud, seuls chez eux ou voyagent. Le monde a changé pour tout le monde. Le café de Flore et Les deux Magot voisins . 1948. © Roger-Viollet ☆ Comment Saint-Germain-Des-Prés devint le quartier littéraire de Paris Depuis le 18e siècle, ce quartier accueille des écrivains et peintres. Les grandes maisons d’édition vont y élire naturellement domicile (Gallimard, Le seuil, Grasset) Le 6e arrondissement devient un quartier dynamique pour la culture avec ses théâtres (L’Odéon, le Récamier) Tout ceci participe au bouillonnement intellectuel et artistique mais jusqu’à la fin de la première guerre mondiale, les haut-lieux de la culture à Paris, ce sont plutôt Montparnasse et Montmartre. D’abord lieu de réunion pour l’extrême droite nationaliste alors influente, Saint-Germain-des-Prés est l’endroit où Guillaume Apollinaire vient écrire et y reçoit ses amis, car il habite le quartier. Les surréalistes rendront ce quartier incontournable avant d’aller s’établir ailleurs. Pendant l’occupation, le patron Paul Boudal (qui a repris le Café de Flore en 1939), fait installer un poêle qui chauffe efficacement les lieux et Simone de Beauvoir prend l’habitude de venir y écrire, d’autant que sa maison d’édition Gallimard se trouve à deux pas. Il ne s’agit pas à l’époque de prendre un café pour se montrer mais de trouver un endroit où écrire et avoir chaud car les auteurs et artistes vivent souvent dans des chambres de bonnes froides et humides. Et puis les officiers allemands préférant Montparnasse, les auteurs y sont relativement tranquilles et opposent une résistance passive à tout allemand qui ose s’y aventurer. A la fin de la guerre, le couple Sartre/Beauvoir y a installé un bureau où les rejoignent leurs amis intellectuels. Saint-Germain-des Près devient alors le point de chute des artistes, des penseurs et des amateurs de fêtes et de jazz car c’est aussi l’époque des caves de st Germain qu’affectionnaient tant Boris Vian et Jacques Prévert. Paul Boudal, qui est devenu le propriétaire du Café de Flore, saura y attirer une élite intellectuelle avec le couple germanopratin Sartre/Beauvoir qui signera l’âge d’or de ce café littéraire. C’est une époque un peu folle où les artistes et écrivains s’autorisaient à ne pas être politiquement correct; En effet, ils faisaient beaucoup la fête et n’hésitaient pas à imaginer des initiatives plus farfelues les unes que les autres, comme Antoine Blondin décidant de baptiser un poulet dans l’église de Saint-Germain-des-Prés…..et finissant au “violon” où vint le récupérer le patron du Flore. C’est aussi l’époque de Juliette Greco, de Boris Vian (qui écrivit d’ailleurs “Le Manuel de Saint-Germain-des-Prés”) qui vont grandement contribuer à en faire un quartier artistique et littéraire en vogue. Depuis 1984, c’est Miroslav Siljegovic qui a repris le café de Flore et c’est une autre époque, bien plus sage. Ces cafés sont aujourd’hui beaucoup moins “littérairement fréquentés” que le Café des Éditeurs de l’Odéon, dont je vous ai déjà parlé dans un autre article. Que ce soit au Café de Flore ou aux Deux Magots, on retrouvait sur leurs banquettes de moleskine rouge, les mêmes écrivains, peintres, philosophes, cinéastes, metteurs en scène et acteurs. Ces deux cafés littéraires emblématiques sont voisins et ils ont évolué en miroir sans que l’on puisse trancher la question de savoir lequel est l’original café littéraire historique de Paris ? Désignés également sous le vocable de cafés germanopratins (adjectif qui s’appliquait aux habitants de Saint-Germain-Des-Prés), ils sont aujourd’hui associés à ce qu’on pourrait qualifier de “lifestyle parisien intellectuel et branché” car ce terme désignerait désormais le milieu parisien intellectuel élitiste. On commence donc avec les cafés littéraires de Paris les plus emblématiques, même s’il reste difficile de les classer, chacun ayant sa propre histoire et ses propres particularités. ☆ Le Café de Flore Instagram @igawysocka Situé de l’autre côté du boulevard Saint-Germain, ce café littéraire disputait au Deux-Magots, la vie littéraire parisienne. Né en 1887, c’est à dire à peu près à la même époque, il devient le lieu où le cinéma et la littérature se rencontraient. Désigné comme café germanopratin, il commença néanmoins par accueillir l’extrême droite nationaliste lorsque Maurras y fonda son journal Action Française, avant de devenir le lieu de réunion des Dadaïstes. On y croisait Françoise Sagan, Picasso, Boris Vian, Serge Reggiani, Jean-Louis Barrault ou encore Ionesco. La personnalité de son propriétaire Paul Boubal, qui ne vivait que pour son café (qu’il surveillait à la jumelle depuis chez lui) et qui “maternait” ses clients comme ses enfants, explique certainement ce succès. Le célèbre couple Simone de Beauvoir et Sartre finira également par l’investir. Aujourd’hui il appartient à Miroslav et Colettte Siljegovic qui détiennent aussi la Closerie des Lilas. Oui le monde des cafés littéraires est vraiment tout petit ! Ce café littéraire (dont le chocolat chaud est redoutable !) accueille aujourd’hui le prix de Flore créé par notre cher Frédéric Beigbeder et Carole Chrétiennot, qui récompense chaque année un jeune talent littéraire prometteur. Parmi les lauréates, on note Virginie Despentes qui fut la première autrice récompensée en 1998 (“Les jolies choses”) et Sofia Aouine le fut en 2019 (“Rhapsodie des oubliés”). Le Café de Flore. 172, boulevard Saint-Germain (VIe). Tél.: 01 45 48 55 26. Tlj de 12h à 14h30 et de 19h à 23h30 ☆ Les Deux Magots Instagram @Parisvacation Quelle histoire pour Les Deux Magots, ce café littéraire dont on situe l’apparition en 1885 et qui tient son nom des deux figurines chinoises que l’on peut voir dans son café rappelant son passé de magasin de nouveautés (on y vendait des soieries et des articles de luxe avant que son repreneur leur préfère le vin et les liqueurs). D’abord fréquenté par Paul Verlaine qui y amena Arthur Rimbaud dans sa période parisienne, il devint rapidement un lieu incontournable de la vie littéraire parisienne. Mais au bord de la faillite il est ensuite racheté par en 1914 par la famille Boulay qui en est toujours propriétaire. Cette fois-ci ce sont les intellectuels et les artistes qui l’investissent. La table réservée à Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre est devenue mythique et participe beaucoup à la célébrité de ce café littéraire parisien. Aragon, Elsa Triolet, Picasso, André Breton s’y réunissaient et donneront naissance au surréalisme entre ses murs. Probablement que leurs âmes hantent encore ces lieux. Enfin c’est de cette manière que j’ai envie de voir cet endroit, sinon à quoi bon ? Dans la continuité de son passé littéraire, ce café a aussi créé, en 1933, son fameux prix littéraire des Deux Magots. L’idée (l’esprit) étant d’offrir un autre visage de la littérature, moins académique. Les Deux Magots. 6, place Saint-Germain des Prés (Vie). Tél.: 01 45 48 55 25. Tlj de 7h30 à 1h. ☆ La Closerie des lilas ©linternaute On quitte le quartier de Saint-Germain-des-Prés pour Montparnasse, autre lieu incontournable de l’histoire littéraire de Paris. Hemingway qui écrivit “Paris est une fête” et séjourna souvent à Paris, avait élu La Closerie des Lilas, “meilleur café de Paris”. Il parait qu’il y écrivit en partie le mythique “Le soleil se lève aussi” mais les descriptions retrouvées dans son roman correspondent davantage au “Café de la Paix”. “Il n’était pas de bon café plus proche de chez nous que la Closerie des Lilas, et c’était “l’un des meilleurs cafés de Paris. Il y faisait chaud, l’hiver ; au printemps et en automne, la terrasse était très agréable…”, explique Hemingway Après avoir été choisi comme lieu de réunion par des auteurs et des poètes tels Baudelaire, Apollinaire, Gide ou encore Alain-Fournier (“Le grand Meaulnes”), Paul Fort en fait, en 1900, avec ses célèbres mardis littéraires (les mardis de la Closerie), un RDV incontournable pour les intellectuels, penseurs et poètes. Il deviendra dans la période de l’entre-deux-guerres, le café littéraire parisien où se retrouvent les auteurs américains qui séjournent à Paris tels Hemingway, bien sûr, mais aussi Fitzgerald, Dos Passos et viendra ensuite les rejoindre Arthur Miller… ce qui lui donne ce côté historique tellement séduisant pour tout ceux que la littérature américaine fascine. A noter que c’est sur cette terrasse, que Fitzgerald fit lire Gatsby le Magnifique à Hemingway ♥ Sublime havre de verdure, ce café littéraire entreprit un gros “relooking” pendant l’entre-deux –guerres et se dota d’une magnifique décoration style art déco avec un imposant bar en acajou massif qui est encore sa signature aujourd’hui avec sa fête des Lilas. La renommée de son salon de thé est légendaire ainsi que celle de son restaurant gastronomique aux élégantes et somptueuses boiseries (le piano vaut le détour). ©linternaute Par la suite il sera célèbre pour être le QG de Jean-Eder Hallier et de Renaud (album Rouge sang avec son hymne “A la Close” ). Cela reste l’un des plus magnifiques cafés littéraires de Paris (il n’y a qu’à regarder les photos) et notez qu’il a, lui aussi, un prix littéraire depuis 2007 qui est ,chose assez exceptionnelle pour être applaudie, 100% féminin (créé par Carole Chrétiennot). La Closerie des Lilas. 171, boulevard du Montparnasse (VIe). Tél.: 01 40 51 34 50. Tlj de 11h30 à 1h30. ☆ Le Procope @pariszigzag Peut-être moins connu des non initiés, ce café est pourtant le plus vieux café littéraire de Paris, créé en 1686 par un Italien (d’où son nom). A l’époque on peut y boire un café assis et y déjeuner à la lumière des bougies. On y croise régulièrement des auteurs comme Racine ou La Fontaine. Puis c’est le siècle des Lumières, Voltaire y aura même un bureau (c’est la table en marbre au premier...