Être le professeur Xavier, ce n'est pas une sinécure. Non seulement le type est le chef et père spirituel des X-Men, mais c'est aussi un des télépathes les plus puissants de la planète, un mutant qui a passé une bonne partie de son existence à cacher ses dons au grand public, quelqu'un dont la structure même de notre réalité dépend fortement (comme on a pu le constater, sa mort apocryphe fut sur le point de départ de l'Ere d'apocalypse). Ajoutez à tout ceci une passion charnelle jamais assumée pour la jeune élève Jean Grey, et tôt ou tard il était logique que ce bon vieux Xavier bascule du côté obscur. C'est advenu dans les années 90 chez Marvel, une époque où d'ailleurs la Maison des Idées elle aussi était tout près de basculer dans un autre univers, celui de la faillite et de la déroute totale. À l'époque nous assistions à une débauche de crossovers tous aussi musclé les uns que les autres, avec un point commun pas forcément si rassurant, une surenchère continue dans l'extraordinaire, pour ne pas dire l'improbable. Pour autant, avec le recul, Onslaught garde toujours un capital sympathie indéniable et on trouve tout un tas de choses très intéressantes et pertinentes au long des nombreux épisodes qui composent cette saga. C'est la fusion du rêve de Xavier et de la vision radicale de Magneto, une perversion qui finit par donner naissance à un être surpuissant, engoncé dans une armure menaçante, et qui met la pâtée à un peu tout le monde, épisode après épisode, bouleversant profondément l'intégralité (ou presque) des parutions Marvel de l'époque. C'est Jean Grey donc qui s'y colle et qui découvre l'existence de la menace sur le plan astral; là elle ne peut pas faire grand-chose face à celui qui se définit comme un dieu en colère. Elle reçoit bien l'aide inattendue du Fléau, qui met à son service sa masse et sa force mais cela ne sert à rien. Lorsque la vérité éclate, il est trop tard et les lecteurs ont enfin la réponse à la question qui les tourmentait depuis longtemps, à savoir qui est le traître qui risque de mettre un terme à la longue carrière des X-Men (Gambit n'a toujours pas porté plainte). Ces derniers traversent une période délicate avec notamment un Wolverine revenu à l'état sauvage, dont les griffes sont désormais constituées de ses propres os, et dont la pilosité est débordante. Le Fauve lui a subi l'enlèvement et les tortures de son équivalent débarqué de l'Ere d'Apocalypse. Nathan Grey, alias X-Man, est un nouveau mutant surpuissant qui se joint à la bande, mais son espérance de vie est réduite et il sait que son destin est de s'éteindre aussi vite qu'il utilise ses formidables ressources. Peu importe, car en vérité, tout le monde va se prendre une rouste dantesque, une vraie humiliation, orchestrée par Jeph Loeb, Scott Lobdell, Mark Waid, et d'autres encore!
Parlons un peu de la structure même d'Onslaught. Toutes les séries X-Men, Fantastic Four et Avengers ont été concernées pendant deux mois par ce qu'on a appelé des "phases", c'est-à-dire des chapitres à ne pas manquer. Le scénario principal s'est déroulé par étapes, avec Onslaught qui affronte les X-Men, les Fantastiques et les Vengeurs, pour acquérir un pouvoir absolu et dominer la Terre. Mais pour ce faire, il avait besoin de Nate Gray et Franklin Richards, les jeunes mutants les plus puissants de la planète. Parmi les points fondamentaux de la saga il faut retenir : Le combat Hulk / Cable durant lequel le géant vert est possédé par Onslaught. L'assaut des Sentinelles, dirigé par Onslaught lui-même, à Manhattan. La libération de Xavier. On comprend alors que le Professeur n'était qu'une partie de la créature. La tempête électromagnétique qui assomme des héros high-tech comme Vision et Iron Man et provoque une tragique panne d'électricité. En parallèle à ce qui est donc l'ossature du crossover, les autres histoires, celles qui sont concernées au premier chef mais non indispensables absolument, méritent le sobriquet d'"Impacts". Les faits saillants sont alors Wolverine qui découvre les origines d'Onslaught; alors que Xavier anéantissait l'esprit de Magneto, comme punition pour avoir arraché tout l'adamantium du corps de Wolverine, le côté mauvais se manifesta en lui. Onslaught n'était donc pas simplement "Xavier devenu méchant", mais le résultat de la fusion des esprits de Xavier et Magneto.. Mais aussi Excalibur qui découvre que dans les Protocoles Xavier le professeur avait écrit une bonne méthodes pour tuer chacun des X-Men (à côté Batman est un amateur). La version "Ere d'Apocalypse" du Fauve qui devient l'alliée d'Onslaught et fait un lavage de cerveau à Havok. Spider-Man (Ben Reilly) et Peter Parker qui affrontent des... Sentinelles. Oui, monsieur!Faut-il donc encore insister? Oui, Onslaught est souvent le prétexte à de grosses batailles rangées qui s'étalent sur des pages, bien dans le style des années 90 (Kubert, Deodato, Madureira, Bachalo, Matsuda, Skroce, Churchill...). Autrement comment expliquer l'arrivée de Post, le héraut de Onslaught, si celui-ci est aussi puissant? C'est hautement destructeur et jouissif, et il flotte un vrai parfum de décadence, de fin d'époque, de possibilité de voir le monde Marvel à genoux, une fois pour toutes. Tout le monde est là, l'union est palpable, la tension atteint des niveaux rarement égalés. Mais soulignons aussi que pour maintenir la qualité sur autant d'épisodes, sans baisse de régime artistique ou scénaristique, il aurait fallu un miracle, et par endroits les pages sont assez vilaines, puis on peut se mettre à bailler quand pour la dixième fois en trente pages les baffes et les bourre-pif se mettent à voler. Reste aussi que le final, et pire encore ses conséquences, sont bien moindres comparés à nos attentes initiales. Et surtout, last but not the least, Onslaught aura un appendice parfaitement inutile et bâclé, Onslaught Reborn, par Loeb et Liefeld, qui est toujours, en 2021, un des pires comic books de tous les temps, une punition innommable à réserver à vos pires ennemis. Alors l'Omnibus chez Panini, faut-il investir? Sérieusement, si vous aimez les années 90, si vous en êtes nostalgiques, la question ne devrait même pas se poser!