"Adieu Blanche-Neige" de Beatrice Alemagna. (c) La Partie.
Il avait fallu attendre quatre mois entre l'annonce de la création des nouvelles éditions La Partie (lire ici) et sa première salve d'albums à la rentrée de septembre. Normal, disaient les pragmatiques. Long, disaient les passionnés. Aujourd'hui, avec les cinq albums parus en août-septembre et les cinq d'octobre-novembre, on a de quoi s'en mettre plein les yeux car ils sont excellents. Logique, l'équipe de La Partie n'est pas tombée de la dernière pluie. Elle est aguerrie, a ses auteurs, publie ce qu'elle aime et ce en quoi elle croit. Quel feu d'artifices que ces dix albums, chacun ayant sa particularité, son charme, son genre, son public.
"Adieu Blanche-Neige". (c) La Partie.
Le livre a une genèse particulière. Hantée par l'univers sombre du conte des frères Grimm, Beatrice Alemagna a d'abord peint une série de trente-quatre tableaux puissants, saisissants, d'une incroyable beauté, quasiment hypnotiques tant il y est à voir. Expressionnistes, proches de l'abstrait parfois, ils racontent la folie d'une jalousie aveuglante. Ce n'est qu'ensuite que l'auteure-illustratrice a écrit le texte. La confession tragique d'une femme folle de jalousie, d'une reine vengeresse, d'une belle-mère narcissique dont le destin sera aussi triste que terrifiant.
Le texte apparaît en double page entre des séquences de quatre images (cinq au centre du récit), elles aussi sur double page, à bords perdus, conférant encore davantage de force aux propos. Chance pour les Parisiens, les peintures originales d'"Adieu Blanche-Neige" sont exposées à la galerie Arts Factory jusqu'au 24 décembre (infos ici). Double chance pour les Parisiens, une autre exposition de 26 dessins originaux et d'une fresque murale de Beatrice Alemagna se tient jusqu'au 9 janvier à l'Institut Suédois, autour de l'album "On va au Parc", écrit par l'autrice suédoise Sara Stridsberg et à paraître en français à l'automne 2022 (traduction de Jean-Baptiste Coursaud, La Partie).
"Adieu Blanche-Neige" est un album exceptionnel. Un livre d'artiste pleinement accessible à tous les publics. Une merveille à ne pas manquer.
"Adieu Blanche-Neige". (c) La Partie.
Et les autres titres?
Qu'il est mignon ce bébé qu'on suit pendant une grosse année depuis ses premiers jours. Un imagier joyeux et sensible jouant agréablement sur des graphismes simples, où le héros fait ses premiers apprentissages. Il tête, il rêve, il nage, il écoute, il gazouille... Il pleure et il rit. Il mange tout seul et s'en met plein partout. Il découvre ses sens et le monde. Il fait ses expériences. Il apprend à marcher, quitte à tomber parfois. Un délicieux album plein de bienveillance qui plaide en filigrane pour l'autonomie des bébés. Les parents du héros sont là, mais pas tout le temps. Ils veillent. Ils le protègent mais ne l'étouffent pas. Ils l'aiment. Laissons donc vivre nos bébés. Pour les tout-petits et leurs parents.
"Bébé". (c) La Partie.
"Bébé". (c) La Partie.
Une petite fille apprend de ses parents qu'elle va être grande sœur: "Bientôt, tu sais/ il faudra que tu partages…/ le chocolat… le temps/ et aussi nos bras./ Chacun aura toujours sa place/ ne t'inquiète pas/ mais il faudra…" Si, accompagnée de son chat, elle commence par rappeler ses droits du tac au tac, "il faudra que je garde mon lit, mon doudou chouette aussi et le tipi des Indiens", elle se projette immédiatement dans cette vie future. "Il faudra..." C'est désormais la jeune narratrice qui utilise l'expression, présentant au bébé à venir toute une liste de découvertes qu'il va faire, chaque fois entamées par ladite expression.
"Il faudra". (c) La Partie.
Une ritournelle où l'héroïne se dévoile comme enfant et comme grande sœur. Toute sa vie défile dans ces pages touchant à la poésie, les moments doux de l'enfance, ceux sérieux ou plus durs de l'école, ceux chaleureux en famille, les joyeuses découvertes des vacances... Comme le bébé à naître est déjà aimé! Un quotidien passionnant et apprécié défile en séquences aussi exquisément écrites que dessinées. Les mots de Ramona égrènent la vie avec une délicate gourmandise, les crayons de couleurs de Loren les complètent, scènes esquissées ou plus figuratives, pleines de détails ou estompées en motifs graphiques. "Il faudra" célèbre l'amour en gestation comme le bébé.
"Il faudra". (c) La Partie.
"Il faudra". (c) La Partie.
Le ver vert rencontre le roi. (c) La Partie.
Fiction? Documentaire? Les deux, parfaitement imbriqués dans ce fabuleux album dont la page de titre s'orne d'une arche de Noé contemporaine, le bateau en bois étant remplacé par un navire en acier moderne. Un petit goût d'Australie avec le héros, le docteur Wallaby, "spécialiste en mauvais rêves", et ses malades. En visite ou en consultation à son cabinet, il écoute les rêves répétitifs, ombres, menaces, persécutions, de ses patients, un échidné, un wombat, un émeu, un opossum, un diable de Tasmanie, un koala, une roussette... Autant d'espèces animales qu'on connaît.
"Le cauchemar du Thylacine". (c) La Partie.
Monté sur son fidèle dingo Sirius, le docteur Wallaby se fait aussi chasseur de cauchemars. Il est bien équipé! Un manuel dont il partage les pages et les conseils avec le lecteur. C'est alors que surgit le thylacine avec un rêve dont n'avait jamais entendu parler le praticien. Malgré ses recherches, il ne trouve rien. Et pour cause! Le thylacine appartient à une espèce éteinte. Il est un fantôme qui va rejoindre l'île des Ombres qui recueille les animaux disparus. Très construit, l'album s'achève sur les portraits de ces derniers, qu'on avait déjà aperçus en réduction en pages de garde.
Le Thylacine. (c) La Partie.
Les mauvais rêves. (c) La Partie.
Quelle claque visuelle que cet album qui nous fait comprendre combien les espèces animales sont menacées d'une manière particulièrement originale, à la fois dans la structure du livre et dans le graphisme d'une beauté sidérante. Entre carte à gratter pour les cauchemars, peinture à l'huile pour les panoramas et crayon pour le manuel, le tout se combinant dans une mise en page fort bien pensée. Un seul petit regret: si la liste des œuvres citées et des inspirations apparaît en fin d'ouvrage, il n'est pas fait mention des numéros de page et tout le monde n'est pas capable de reconnaître tous les tableaux.Rouge de colère, vert de rage, blanc de peur... On a l'habitude de lier émotions et couleurs. Rien de ça dans ce très bel album bien plus original et pertinent où se succèdent trente-et-une créatures représentant chacune une émotion. Elles composent une magnifique galerie de personnages, toute en rondeur, dans des gris bleutés parfois rehaussés de rose, l'un doté de bizarres oreilles, l'autre de tentacules, chevelus ou non. Tout en douceur même pour des sentiments violents. L'atout de cet album est que les trente-et-une saynètes présentent les émotions dans des mises en scène assorties de textes brefs, sans aucun jugement de valeur.
"Nous, les émotions". (c) La Partie.
"Nous, les émotions". (c) La Partie.
"Nous, les émotions". (c) La Partie.
Les idées des images sont à la fois simples et éloquentes: la curiosité perchée tout en haut d'une cheminée (atteinte par un bricolage d'échelles), la joie bondissant sur un trampoline, la crainte toute menue et cachée, la jalousie destructrice, la honte terrée... Comment n'y avait-on pas pensé plus tôt? On est immédiatement charmé et séduit par la finesse des mots et des images de cet album, le premier de l'illustratrice. On sourit, on se projette, on réfléchit, on est ému et on tourne les pages pour en découvrir toujours plus tant il est réussi sur le fond comme sur la forme.
40 pages
dès 5 ans
Images numériques pour une farce d'arroseur arrosé sur les préjugés. En l'occurrence, quatre chats qui ne sont ni doux ni gentils mais atrocement méchants et une souris qui n'est pas le menu et mignon animal escompté mais un monstre. Encore pire que les chats qu'elle déteste de surcroît. Les rôles vont s'inverser, et bien sûr, se réinverser car un chat méchant reste un chat méchant. Un album un peu lourd malgré son intention joyeuse.
Magnifique livre que celui-ci, dessiné à quatre mains, en boucle et muet, ce qui accentue l'impression d'images en hauteur. Bordées de blanc, en aplats, agréablement fort colorées, elles se posent sur les doubles pages selon un rythme défini, plan rapproché en page de gauche, plan large en page de droite. La perle du titre est celle dont on suit le voyage à travers le monde et le temps, le temps d'une vie humaine. La dernière illustration fermera avec douceur et éloquence la boucle entamée en couverture.
L'histoire débute simplement. Un jeune plongeur découvre une perle dans une huître au fond de l'océan. Il offre la bille précieuse insérée dans une fleur tout juste cueillie pour faire office de bague à son amoureuse. Quand elle se couche, elle dépose le bijou à côté de son lit. C'est la nuit que tout se corse et que le récit visuel s'emballe. Une pie vole la perle et la dépose dans son nid, à côté d'autres babioles. Un nid accroché au mât d'un bateau visité par le chat marin... On suit, éberlué et conquis, dans les images de deux tailles, les péripéties de la boule de nacre. Et elles sont nombreuses, une bijouterie, une exposition, le sac d'un voleur, les égouts, un cours d'eau, l'estomac d'un saumon et d'autres endroits inattendus jusqu'à la finale magistrale, célébration d'un couple amoureux tout au long du temps.
Au fil de l'album et du hasard, la perle change de statut et met en lumière divers sentiments humains. Divers comportements humains aussi quand on parcourt la nature à ses côtés. Elle nous montre en réalité l'humain et la nature dans ce qu'ils ont de pire et de meilleur. Admirablement composées, les superbes illustrations aux couleurs chatoyantes regorgent de scènes pleines de détails que chacun décryptera à sa guise, jusqu'à la finale aussi apaisée que réjouissante.
La découverte de la perle. (c) La Partie.
La scène du vol. (c) La Partie.
Fleur Van Der Weel
traduit du néerlandais par Emmanuèle Sandron La Partie
96 pages dès 3 ans Premier album traduit en français de l'auteure-illustratrice néerlandaise, cet épais petit format presque carré aux délicieuses illustrations toutes en douceur nous entraîne dans la folle vie quotidienne de deux chatons, le tigré Noyau et la noire Plume. Leurs aventures sont racontées par le menu et on comprend tout de suite que les chatons sont de sacrés chenapans, ce que confirme s'il en était encore besoin l'image finale.
Jeux, croquettes, rencontres, tout ce qui les concerne se présente au fil de la centaine de pages qui abordent aussi, en toute discrétion, les thèmes habituels des imagiers, les couleurs, les contraires, les chiffres, etc., et propose encore plein d'informations sur la nature par exemple, à hauteur de chaton et d'enfant. Tant de choses sont à regarder dans ces pages si joliment illustrées. En bonus, un lexique des miaulements! A vérifier, comme le fait de donner du lait aux deux héros, ce que ne recommandent pas les vétérinaires mais qui persiste dans l'imaginaire collectif. Ce n'est toutefois pas très grave tant les chatons aux expressives mimiques sont craquants.
"Une vie de chatons". (c) La Partie.
"Une vie de chatons". (c) La Partie.
"Une vie de chatons". (c) La Partie.
Pochoirs, découpages, couleurs vives, dessins stylisés, voilà Bastien Contraire (lire ici). Il nous propose un très plaisant documentaire pour les plus jeunes sur un sujet d'immense fascination des enfants, les dinosaures! Une approche pédagogique qui n'exclut ni l'amusement, ni la beauté. Ses pages où évoluent des dinos en pochoirs et peinture vaporisée sont des merveilles graphiques qui fourmillent d'informations sur les fossiles, l'évolution, les espèces...
L'auteur-illustrateur a la très bonne idée d'évoquer son sujet par des comparaisons accessibles aux enfants, du compsognathus de la taille d'un poulet au diplodocus long comme deux autobus. Il traite aussi du mode de vie et de l'alimentation de ces animaux disparus, présentés de toutes les couleurs car personne ne sait quelle était leur couleur, des variétés vivant sur terre, dans les mers ou dans les airs...
Quant à la fin de l'ère des dinosaures, elle est abordée dans une page rendant graphiquement hommage à la graphiste allemande réfugiée en Angleterre pendant la guerre, Marie Neurath (1898–1986, plus d'infos ici): "J'y ai glissé", explique Bastien Contraire sur les réseaux sociaux, "un petit hommage à une série de livres documentaires que j'aime beaucoup, ceux de Marie Neurath et l’institut Isotype [qu'elle a fondé avec son mari Otto]. Les informations contenues dans ces livres des années 50 sont parfois obsolètes mais la clarté du graphisme ne l'est pas du tout. S'il est difficile de s'en procurer, on peut voir pas mal d’images sur internet."
Avec sa reliure cousue, "Dinosaures" est un assez grand format qui enchante l'œil et l'esprit, un documentaire bien pensé et remarquablement original.
"Dinosaures". (c) La Partie.
"Dinosaures". (c) La Partie.
"Dinosaures". (c) La Partie.