Shutter Island – Dennis Lehane

Sur l'île de Shutter Island, au large de Boston, se dresse un sinistre hôpital psychiatrique pour pensionnaires atteints de troubles mentaux graves, et pour la plupart coupables de crimes abominables. Un matin de septembre 1954, le marshall Teddy Daniels et son coéquipier Chuck Aule débarquent sur l'île pour enquêter sur l'évasion de Rachel Solando, une patiente internée après avoir noyé ses trois enfants. Sur place les enquêteurs font face à un désintérêt incompréhensible du personnel face à la disparition de cette femme. Celle-ci semble d'ailleurs avoir disparue dans d'étranges circonstances, voire même assez improbables : elle s'est enfuie d'une pièce fermée à clé, a évité quatre poste de contrôle, ainsi que des aides-soignants jouant au poker, etc... Elle leur a laissé un énigmatique message qu'ils doivent déchiffrer. Alors qu'une tempête fait rage et les isole du continent, les deux policiers se questionnent sur l'usage de nouvelles méthodes expérimentales que testeraient les médecins du centre sur certains patients... Que cache le phare qui se dresse sur l'ilot et dont l'entrée semble inaccessible?

Shutter Island, un livre, un film (réalisé par Martin Scorsese en 2010, avec Di Caprio) , qui provoquent en moi une drôle de réaction : lorsque je visionne le film, j'ai envie de lire le livre pour comprendre comment Dennis Lehane a pu mettre en place ce mécanisme diabolique; réciproquement, lorsque je lis le livre, j'ai soudain envie de revoir le film pour savoir comment les scénaristes ont pu retranscrire l'étrange ambiance du roman ! Je ne saurais dire s'il s'agit de ma deuxième ou troisième lecture de ce roman, mais j'ai une nouvelle fois eu envie de le relire pour en comprendre le mécanisme.

L'atmosphère du lieu a de quoi inquiéter: une île isolée en pleine tempête sur laquelle se dresse un phare mystérieux et un asile psychiatrique où ont lieu des expériences inédites sur des patients dangereux... Une femme disparue dans des circonstances improbables et une équipe médicale qui s'acharne à mettre des bâtons dans les roues des deux policiers... Ces deux policiers qui ne se connaissaient pas jusque là vont sympathiser, de cette manière nous apprendrons à les connaître, notamment le charismatique Teddy Daniels, jeune homme au passé complexe qui a, entre autre, participé à la libération des camps de concentration, et a perdu sa femme dans l'incendie criminel de leur appartement. Ensemble les deux hommes vont s'allier face aux personnels médical qui semble vouloir leur cacher beaucoup trop de chose. Mais lorsque Chuck Aule découvre que le pyromane ayant provoqué l'incendie dans lequel est morte la femme de son coéquipier, il se demande si Teddy est réellement venu pour enquêter ou pour se venger?

Le contexte est tout aussi inquiétant : en pleine guerre froide, on pratique ici des tests grandeur nature dans le domaine de la psychopharmacologie (qui supplante depuis peu les traitements physiques sur les patients internés). C'est donc le plein essor des laboratoires pharmacologiques ainsi que tous les espoirs financiers que cela implique...

La construction de ce récit est brillante et diabolique, elle entraine le lecteur dans un " trompe-l'œil " livresque époustouflant. Certains passages volontairement surréalistes titillent le lecteur perspicace: entre suggestion et contradiction, les situations abracadabrantes et les dialogues facétieux laissent autant d'indices pour nous mener vers un final prodigieux. Après un dénouement subtilement entrevu, la vérité éclate, sombre et cruelle pour parfaire un roman d'une qualité incomparable.