Cette chanson-là - Sarah Dessen

Cette chanson-là - Sarah DessenCette chanson-là, Sarah Dessen

 Editeur : Pocket Jeunesse (PKJ)

Nombre de pages : 395

Résumé : Julie a toujours su quand prononcer LE discours à un garçon pour le quitter: juste après l'émotion des premiers jours et avant que l'implication soit trop forte. Alors pourquoi ne parvient-elle pas à appliquer ses grands principes au beau Damien ? Il est brouillon, impulsif et, pire que tout, musicien comme le père de Julie. Ce père qu'elle n'a jamais connu et qui lui a écrit une chanson célèbre avant de disparaître: "This Lullaby" qu'elle écoute quand elle a le cœur serré. Julie serait-elle en train de découvrir ce dont parlent toutes les chansons d'amour ?

- Un petit extrait -

« - Tenir les gens à distance et se priver d'amour ça ne rend pas fort. Au contraire. Parce que c'est de la peur.

- Peur de quoi?

- De prendre un risque. Le risque que des choses arrivent, le risque de se laisser emporter ... Mais le risque c'est la vie. Refuser d'essayer, par peur, c'est du gaspillage. D'accord j'ai fait des erreurs, beaucoup même, mais je n'ai pas de regrets. Parce qu'au moins, je ne suis pas restée sur le bord de la route à me demander ce que vivre veut dire. »

- Mon avis sur le livre -

 On a tous, je pense, un livre ou un auteur qui nous accompagne lors des moments les plus difficiles de notre vie, vers lequel nous nous tournons lorsque nous avons besoin de reprendre pied, de retrouver une certaine forme de stabilité et de sérénité. Les livres ont cela de rassurant : même lorsque les bouleversements les plus effrayants surgissent, même lorsque tout semble s’effondrer, ils sont toujours là, fidèles au poste et à eux-mêmes. C’est ainsi que cet été, alors que je m’apprêtais à vivre une étape importante mais affreusement effrayante dans ma vie de jeune adulte – chercher, trouver, choisir et acheter ma première voiture, rien que cela –, je me suis instinctivement tournée vers celle qui, depuis le décès de mon père biologique, m’accompagne à chaque grande étape de mon existence : Sarah Dessen. Ce sont vers ses romans que je me tourne généralement quand j’ai le sentiment d’être submergée par l’angoisse, lorsque la peur d’avancer me terrasse, que j’ai besoin d’un délicat petit coup de pied au derrière pour lutter contre cette réaction instinctive de repli et de blocage. Car la grande force des récits de Sarah Dessen, c’est qu’ils combinent une certaine forme de douceur, de légèreté, et une petite leçon de vie, discrète mais toujours très juste. D’un côté, ça apaise, de l’autre, ça nous incite à aller de l’avant, et ça, c’est génial !

Malgré les échecs cuisants des quatre premières tentatives, Julie se retrouve une fois de plus à planifier dans les moindres détails le cinquième mariage de sa mère. Le programme est bien rodé : Julie sait désormais parfaitement quand et comment il faut réserver la salle de réception, relancer le traiteur, vérifier si le chauffeur sait où il doit venir chercher les deux « heureux mariés pour le meilleur comme pour le pire jusqu’à ce que la mort les sépare » pour les emmener à l’hôtel … Elle sait également quand et comment cet énième mariage finira en divorce, selon un théorème qu’elle a eu maintes fois l’occasion de vérifier et d’affiner. Théorème qu’elle applique également, dans une version légèrement adaptée, pour savoir quand et comment elle doit rompre avec son petit copain temporaire du moment : au bout de six semaines et deux jours très précisément, juste avant que le petit copain en question se sente suffisamment en confiance pour commencer à empiéter dangereusement sur son espace vital et que ses défauts (potentiellement touchants jusque-là) deviennent absolument rédhibitoires. Et surtout, juste avant que toute forme d’attachement ne se manifeste. Mais voilà que Damien débarque dans sa vie, sans même lui demander son avis, et qui mène tant et si bien la danse qu’elle n’arrive jamais à lui sortir son célèbre Discours de rupture … mais le veut-elle vraiment ?

Une fois encore, Sarah Dessen a frappé fort, très fort : elle est parvenue à me faire apprécier une fille avec qui je n'ai absolument rien en commun, qui est même pour ainsi dire tout mon contraire. Alors que je suis terrifiée à la simple idée de prendre la moindre petite décision, Julie endosse toutes les responsabilités pour planifier le cinquième mariage de sa mère. Alors que je n'ai jamais eu un seul petit copain, Julie les collectionne et les jette selon un schéma bien défini ne laissant pas la moindre place aux sentiments. Alors que je reste cloitrée chez moi à boire des tisanes bien sages, Julie sort tous les soirs s’enivrer avec ses quatre amies … Non, vraiment Julie et moi n’étions clairement pas faites pour nous entendre et j’ai l’espace d’un instant eu peur de ne pas réussir à apprécier totalement son histoire. Et pourtant … il ne m’a pas fallu bien longtemps pour trouver Julie bien plus touchante et attachante que ne peut laisser paraitre son comportement de « sale garce aigrie », pour reprendre les propos de son grand frère lui-même. On devine rapidement, bien qu’assez confusément, que derrière ce cynisme et cette façon pour le moins surprenante de gérer ses relations amoureuses, se cachent en réalité de lourdes blessures au cœur et à l’âme. Julie est loin d’être aussi insensible et impitoyable qu’elle ne veut le laisser paraitre : c’est un masque, une armure, une carapace, qu’elle endosse pour se protéger …

Et on peut la comprendre, finalement : comment voulez-vous croire à l’Amour quand votre seul modèle, c’est votre mère, qui multiplie les mariages et enchaine les divorces ? comment voulez-vous croire à l’Amour quand votre père, que vous n’avez même jamais connu, vous a laissé pour seul héritage une chanson annonçant qu’il va vous abandonner ? Confrontée bien trop tôt à ces désillusions, Julie a perdu toute foi en l’Amour : mieux vaut pour elle mettre fin à toute relation avant qu’elle ne devienne trop sérieuse, de peur de s’attacher et de souffrir si c’est l’autre qui finit par la laisser tomber. Cela peut paraitre cruel de sa part, de vouloir être celle qui fait souffrir plutôt que celle qui souffre, mais c’est finalement très humain de vouloir ainsi se préserver. Elle prend les devants non pas par pure méchanceté, comme on pourrait l’imaginer au premier abord, mais bien par peur. Par peur de s’engager et de se tromper. De laisser quelqu’un exercer une sorte de pouvoir sur elle : Julie a un besoin maladif de contrôle, elle qui a trop souvent vu son monde voler en mille éclats à chaque nouveau changement de beau-père. Et surtout, Julie a besoin de liberté, elle qui n’a jamais eu d’autre choix que d’endosser toutes les responsabilités à la maison, portant sur ses seules épaules le bon fonctionnement du foyer. Julie est loin d’être parfaite, et j’ai plus d’une fois eu envie de la baffer, mais elle est bien plus à plaindre qu’à blâmer, finalement : elle est devenue ce que la vie a fait d’elle, tout simplement.

Et voilà que la vie lui offre une chance de changer son regard sur l’amour, sur la vie en général : lorsque Damien débarque, avec son sans-gêne et sa maladresse, avec son humour et sa candeur, on devine immédiatement que ça va faire des étincelles entre eux. Alors qu’elle a toujours mené la danse, Julie ne contrôle cette fois-ci absolument rien : Damien ne lui laisse jamais la moindre possibilité de reprendre l’avantage, il l’entraine dans son monde un tantinet déjanté, totalement désordonné, parfaitement décomplexé. Elle ne peut rien planifier, avec lui qui oublie constamment de payer les factures d’électricité, mettant tous ses collocs et collègues dans l’embarras mais continuant à faire genre que tout va très bien. Damien est agaçant par moment, on ne va pas se mentir, mais on sent que Julie a besoin de quelqu’un comme lui. Peut-être pas pour toute la vie, car Damien n’est tout de même pas le prince charmant des contes de fées, mais pour plus de six semaines, assurément. Car Damien n’hésite pas à dire tout ce que Julie s’efforce d’enfouir bien profond, il ne prend pas de pincettes mais sait toutefois être délicat. En bousculant tous ses plans, en chamboulant totalement sa petite vie réglée comme sur des roulettes, Damien va prouver à Julie que, parfois, il faut savoir prendre des risques. Et qu’être forte, ce n’est pas se défiler systématiquement, mais bien plutôt affronter ce qui fait peur …

En bref, vous l’aurez bien compris, on est dans du Sarah Dessen dans toute sa splendeur : c’est à la fois très mignon, à la limite de la niaiserie parfois, et très profond, pour ne pas dire proche du développement personnel. C’est vraiment quelque chose que j’aime beaucoup dans ses romans, cette sorte de dualité : on peut se contenter de lire ce roman comme une romance pour adolescentes, mais on peut aussi y voir une délicate leçon de vie. En toute simplicité, Sarah Dessen nous invite à cheminer envers une jeune fille à l’orée de sa vie, qui rêve de liberté mais n’a pas encore su se délivrer de ses peurs et de ses peines. Elle nous invite par la même occasion à se demander quelles sont nos propres peurs, nos propres blocages : devant quoi nous défilons-nous, qu’esquivons-nous sous le couvert de la sacro-sainte raison, en refusant de voir ce qui se cache derrière ? Comme Julie, nous avons sans doute bien des opinions préconçues dont nous ne parvenons pas à nous débarrasser car elles nous donnent un sentiment illusoire de sécurité, de sûreté, de protection et de maitrise … Mais ne sommes-nous pas en réalité esclaves de ces peurs qui prennent l’apparence d’une sage résolution ? Tandis que s’égrènent les dernières notes de Cette chanson-là, nous voici invité, à l’image de Julie, à prendre notre envol après s’être débarrassée de tout ce qui nous cloue encore au sol. Sans doute pas le meilleur de l’autrice, mais indiscutablement un très beau roman à lire et relire !