Celui qui veille, son nouveau roman, vient de paraître. S’il s’agit bien d’un roman, il est très largement inspiré d’un épisode de la vie familiale de l’écrivaine, la vie de son grand-père maternel, ici nommé Thomas Wazhashk et de son combat pour défendre les droits des Indiens. Un livre qui lui vaudra le prix Pulitzer 2021.
Dakota du Nord en 1953, dans la communauté indienne de Turtle Mountain. Thomas Wazhashk veilleur de nuit dans l’usine employant les femmes du villages mais par ailleurs président du conseil tribal apprend que le gouvernement fédéral s’apprête à présenter une loi destinée à émanciper les Indiens. En réalité une astuce aux effets désastreux si elle se réalise : faire des Indiens des Américains comme les autres ce qui veut dire, leur supprimer toutes leurs subventions et aides afférentes ; résultat, plus d’identité et plus d’argent, ce qui aggravera la misère dans laquelle ils sont déjà. Face à cette échéance intolérable, Thomas est prêt à tout, jusqu’à se rendre à Washington pour plaider leur cause. De son côté, Pixie sa jeune nièce, ouvrière à l’usine, s’est mis en tête de retrouver sa sœur aînée partie à Minneapolis et dont on n’est sans nouvelles depuis plusieurs mois…
Si ces deux axes constituent les deux principales lignes de l’architecture narrative, le roman est beaucoup plus riche car bien plus « éclaté » que ce résumé pourrait le laisser paraître. Les deux voyages, quasi expéditions pour les deux personnages ne connaissant que leur petite communauté, auront des répercussions sur leur vie ou leur avenir. Pour Thomas, combat politique qui l’oblige à faire appel à toutes ses ressources ou à des aides extérieures ; pour Pixie, parcours initiatique d’une jeune fille très naïve et innocente des choses du monde des grandes villes et des dangers qui rôdent dès qu’une femme entre en scène.
J’ai parlé de roman « éclaté » car les personnages sont nombreux, chacun avec sa propre histoire, ses désirs ou ses espoirs. Nombreux sont ceux qui seront attirés par la charmante Pixie, innocente mais pleine de bon sens, de courage et de volonté. Elle-même sera surprise de constater que l’amour peut avoir de l’intérêt mais trouvera-t-elle un prétendant digne d’elle ? Thomas mènera une délégation jusqu’à la capitale et pourra exposer ses griefs, obtiendra-t-il gain de cause ?
Dans ce roman touffu il y aura aussi de la boxe, des rites et pratiques indiennes, des fantômes ou esprits bienveillants, des histoires d’amour, de la prostitution et des tentatives de viol, des Mormons culs-serrés…
Le récit suit son cours sur un rythme mid-tempo, sans jamais forcer l’allure quelle que soit la situation ; les personnages sont sympathiques et mêmes ceux qui ne le sont pas, ne sont pas condamnés expressément par le texte, comme si l’écrivaine nous laissait le choix de les juger. De plus jamais l’écrivaine ne force le trait que ce soit sur les situations dramatiques ou même le combat mené par Thomas ; le message passe clairement sans être lourdingue. La seule chose qui m’a étonné dans ce récit, c’est que la recherche de Vera par sa sœur Pixie, annoncée comme une quête prioritaire pour elle, s’effiloche rapidement après le voyage à Minneapolis qui pourtant était lourd d’inquiétudes presque certaines. Pixie et sa mère, se contentant de leurs rêves prémonitoires les assurant qu’elle est vivante et qu’elle reviendra. Mentalité indienne (?) qui étonne toujours le petit Blanc pépère que je suis…
Un roman que j’aurais qualifié de dense chez un autre écrivain tant s’y mêlent de choses, mais qu’ici je qualifierai de riche seulement, car il se lit très facilement, grâce à une écriture légère et fluide et de courts chapitres.
Un bon bouquin.