La guerre des clans, hors-série : La vengeance d'Etoile Filante - Erin Hunter

Par Marie Kacher
La Guerre des clans, Erin Hunter

Hors-série : La vengeance d’Etoile Filante

 Editeur : Pocket Jeunesse (PKJ)

Nombre de pages : 591

Résumé : Avant qu’il ne devienne le chef du Clan du Vent, Étoile Filante s’appelait Plume Filante. Alors qu’il n’est encore qu’un jeune apprenti loyal et dévoué, la mort de son père fait naître en lui une terrible soif de vengeance que même son nouveau statut de guerrier ne semble pouvoir apaiser. Dès lors commence une périlleuse quête de justice, bien au-delà des limites du code du guerrier...

- Un petit extrait -

« Quand nous ignorons la vérité, nous inventons des histoires pour combler les blancs, poursuivit Moineau. Parfois, c'est la seule façon de donner un sens à notre vie. »
- Mon avis sur le livre -

 Plus le temps passe, plus je regrette de ne pas être suffisamment à l’aise en anglais pour lire la saga en version originale. Pas seulement parce que les délais de traduction sont une véritable torture (quand je pense que les lecteurs anglophones vont découvrir le cycle 8 alors que nous en sommes encore au 6 en France, j’ai envie de pleurer de frustration), mais aussi et surtout parce que je suis de plus en plus souvent déçue du travail éditorial de Pocket Jeunesse vis-à-vis de la saga. Cela donne parfois le sentiment que, puisqu’ils savent bien que les lecteurs passionnés achèteront chaque nouveau tome sans se poser de question, ils ne prennent plus la peine de faire les choses correctement. Un exemple ? Pas besoin d’aller chercher plus loin que les toutes premières pages de ce hors-série : l’intrigue de celui-ci se déroule dans « l’ancien territoire », celui de la forêt … mais ils ont mis la carte du territoire du lac ! Cela peut sembler être un détail, mais ça prouve bien qu’ils ne font plus attention à ce qu’ils éditent, « de toutes façons ça ne les empêchera pas d’acheter », doivent-ils se dire. Et je ne parle même pas des erreurs de traduction des noms, de plus en plus courant (j’ai mis longtemps avant de comprendre que Museau d’Ecorce … c’était en fait bien Ecorce de Chêne dans les autres tomes) ! Heureusement que l’histoire, elle, reste le fait des autrices, sinon ça serait une sacrée catastrophe !

Depuis sa venue au monde, Petit Fil doit vivre avec le poids d’être « le chaton survivant ». Il s’est toujours demandé si sa mère n’aurait pas été plus heureuse si c’était sa sœur, Petit Canari, morte née, qui avait survécu : quoi qu’il fasse, le petit dernier du Clan du Vent ne parvient pas à redonner le gout de vivre à celle qui lui a donné le jour. Et Petit Fil le sent bien : il ne sera jamais non plus à la hauteur des attentes de son père, formidable guerrier-creuseur, qui espère bien le voir marcher sur ses traces et l’aider à terminer sa plus grande œuvre, un tunnel reliant le campement aux gorges … Mais Petit Fil est absolument terrifié à l’idée de se glisser dans un tunnel obscur, dégouté à l’idée de passer toute son existence à creuser dans la boue. Petit Fil rêve de grands espaces, du vent dans la lande, des senteurs de la bruyère : il rêve d’être un guerrier-coureur, de courir dans les hautes herbes, de chasser des lapins bondissants. Lorsque le chef du Clan exauce son vœu secret en le nommant apprenti-courir, Nuage Filant est tiraillé entre la joie, la culpabilité … et la peine : désormais, son père ne lui adresse même plus la parole, ne lui accorde plus le moindre regard. Lorsque ce dernier meurt dans un tragique accident, le jeune chat, devenu guerrier, se lance sur les traces de celui qu’il estime être le responsable … et il compte bien venger son père, quitte à bafouer profondément toutes les valeurs du Code du Guerrier.

Depuis sa toute première apparition dans la saga, j’ai toujours éprouvé beaucoup d’admiration pour Etoile Filante : c’est un meneur profondément dévoué à son Clan, plein de sagesse et de justice malgré quelques emportements et égarements. Il est certes attaché aux traditions « de toujours » mais sait également s’en détourner pour le bien des siens lorsque cela s’avère nécessaire, il n’hésite pas à se faire humble et conciliant quand il le faut, quitte à paraitre faible aux yeux de certains. J’étais donc particulièrement enthousiaste vis-à-vis de ce hors-série … et clairement, celui-ci ne m’a pas déçue, bien au contraire ! Alors que j’imaginais Etoile Filante comme un guerrier à l’existence « ordinaire », comparé aux destinées « exceptionnelles » des héros des différents cycles, j’ai eu la surprise de découvrir que la vie de ce grand chef a été bien plus mouvementée et étonnante que je le pensais. Entouré du chagrin de sa mère, qui ne parvient pas à faire le deuil de son chaton mort-né, Petit Fil porte sur ses frêles épaules toutes les attentes et aspirations que ses parents projettent sur lui plus ou moins consciemment … Alors même qu’il est terrifié à l’idée de cheminer sous terre et qu’il ne rêve que de galoper au grand vent, il se fait à l’idée qu’il deviendra creuseur, bien malgré lui, comme son père avant lui, comme le père de son père avant lui.

Car ainsi vont les choses au sein du Clan du Vent : les savoir-faire des creuseurs se transmettent et s’affinent de générations en générations, alors qu’ils perfectionnent et agrandissent jour après jour le réseau de tunnels qui courent sous leur territoire, permettant ainsi au Clan de chasser même au cœur de la plus terrible saison froide … C’est quelque chose dont nous n’avions jamais entendu parlé jusqu’à présent, cette répartition des guerriers du Vent en deux « groupes », les premiers chassant et patrouillant à l’air libre, les seconds entretenant et façonnant des tunnels. Très rapidement, le lecteur se rend compte que cette scission entraine des tensions grandissantes entre les membres du Clan : nombreux sont les coureurs à dénigrer le travail des creuseurs, à estimer que c’est une perte de temps et d’énergie que de ramper dans des souterrains … alors que les creuseurs considèrent au contraire qu’ils sont les garants et les gardiens du savoir-faire ancestral et unique du Clan du Vent, et s’agacent du manque de respect dont les coureurs font preuve à leur égard. Utile, voire vitale à une époque, cette « spécialisation » des guerriers menace aujourd’hui de détruire le Clan de l’intérieur : entre ceux qui s’accrochent anxieusement à la tradition et ceux qui n’en voient plus le sens, le dialogue est rompu, et les jalousies et les rancœurs empoissonnent progressivement les cœurs …

De même que son Clan est nécrosé par cette rivalité intestine, Plume Filante est ravagé par une colère flamboyante : persuadé que son père ne serait pas mort sans un des chats errants que le Clan du Vent accueille avec hospitalité tous les ans, le jeune guerrier, qui a toujours eu la douloureuse sensation de ne pas être à sa place parmi les siens, considère qu’il est de son devoir de venger la mort de son père. Le cœur en quête d’une fausse justice qui a un arrière-gout rance de vengeance, Plume Filante quitte son Clan et s’élance à la poursuite du meurtrier … Bien que je n’approuve en rien ce choix, j’ai éprouvé beaucoup de peine pour ce chat qui, derrière sa haine à l’encontre de ce chat qu’il estime être responsable de cet ultime malheur, cache en réalité une culpabilité profonde, celle de ne jamais avoir été à la hauteur des attentes de ses parents, celle d’avoir survécu alors que sa sœur est morte, celle de s’être réjoui de ne pas marcher sur les traces de son père pour suivre ses envies, celle de ne pas avoir eu un sens assez aigu du sacrifice, en somme … A ce stade, Plume Filante n’est plus qu’un chat brisé par la peine, aveuglé par la douleur, qu’on ne peut que plaindre en espérant qu’il reviendra à la raison avant qu’il ne soit trop tard. Heureusement, la chance, le destin – ou bien le Clan des Etoiles, qui sait ? – met sur son chemin un chat dont l’amitié l’aidera à reprendre pied … et à retrouver la juste voie. En accordant son pardon à celui qu’il avait jugé sans savoir, Plume Filante va également se pardonner lui-même et s’autoriser à tracer son propre chemin, enfin libéré de ses fardeaux intérieurs …

En bref, vous l’aurez bien compris, c’est vraiment un excellent hors-série que nous offrent une fois de plus les autrices ! C’est un joli petit pavé de presque 600 pages qui se dévore comme si de rien n’était : on se laisse vraiment embarquer par la vie de ce petit chaton esseulé qui ne sait pas quelle place est la sienne, par ce jeune guerrier endeuillé qui ne sait pas comment se débarrasser de cette souffrance. Il y a certes de l’action, mais c’est une intrigue plutôt « psychologique », qui évoque tantôt le poids des traditions et des attentes familiales parfois trop lourdes à porter, tantôt la puissance libératrice du pardon et du dialogue, sans oublier la force de l’amitié. C’est vraiment un roman qui m’a plus d’une fois fait monter les larmes aux yeux, car certains passages sont particulièrement émouvants pour ne pas dire déchirants : Plume Filante a beau être un chat, ses peines et ses doutes rejoignent facilement ceux du lecteur, qui se sent étonnamment proche de lui et qui souhaite ardemment le voir heureux, enfin, après tous ces malheurs qui ont jalonnés ses jeunes années … Enfin, pour parfaire le tableau, le dernier chapitre, pour ne pas dire la dernière page, apporte un éclairage nouveau et inattendu sur le reste de la saga : je me suis bien sûr demandé à plusieurs reprises pourquoi Etoile Filante faisait si facilement confiance à Cœur de Feu … désormais, je le sais, et c’est vraiment très beau !