Michel Houellebecq, né Michel Thomas à la Réunion, en 1956 selon son acte de naissance ou en 1958 selon lui ! Son nom de plume est le nom de jeune fille de sa grand-mère paternelle qui l'éleva. Michel Houellebecq est poète, essayiste, romancier et réalisateur de cinéma. Depuis la fin des années 1990, il est l'un des auteurs contemporains de langue française les plus connus et traduits dans le monde. En 2010 il reçoit le prix Goncourt pour La Carte et le Territoire, son cinquième roman. Anéantir, son nouveau roman vient de paraître.
Le roman débute à la fin de 2026, le président de la république (Macron ? jamais cité) achève son second mandat et les prétendants au poste commencent à s'agiter. Des attentats frappent le monde, initiés par un groupe inconnu de tous les services du renseignement et vont jusqu'à publier sur le Web une vidéo montrant la décapitation très réaliste du ministre français de l'Economie et des Finances, Bruno Juge (lui, officiellement inspiré de Bruno Le Maire). Le ministre est en pleine séparation avec son épouse et son principal collaborateur, Paul Raison, apprend que son père vient de faire un AVC et se retrouve dans le coma.
Un démarrage en fanfare donc, qui mêle le thriller et la (presque) fiction politique, mais deux axes qui vont assez rapidement devenir secondaires car là n'est pas le sujet du nouveau bouquin de l'écrivain. Ces deux thèmes ne servant qu'à planter l'ambiance générale, le terreau dans lequel vont pousser deux autres sujets assez étonnants sous la plume de Houellebecq, l'amour et ce qui y ressemble et la compassion, ainsi qu'un troisième plus évident la mort.
Paul Raison le personnage principal du roman doit affronter une vie privée complexe et douloureuse, sa femme Prudence et lui ne vivent plus qu'en cohabitation et son père sorti du coma, est paralysé dans son fauteuil, incapable de parler, dans sa maison près de Lyon. Cécile, la sœur de Paul et Aurélien son frère, prennent part à la nouvelle organisation de vie du père, chacun avec son conjoint. De son côté, le père de Prudence n'est plus qu'un mort-vivant depuis le décès de son épouse. Les couples et par-delà, les familles, éclatent, la machine familiale déraille...
Sur plus de sept-cents pages, les évènements se succèdent sans rapport obligatoirement les uns avec les autres, ponctués des rêves faits par Paul. Le récit panache le mystère (avec les terroristes dont on ne se saura jamais rien), l'action (l'exfiltration du père de Paul de son EPAHD), l'émotion (avec ces couples en fin de cycle, par exemple), le tout sur ce qui est classique chez l'auteur, une esquisse grandiose de la France et du monde sur le plan socio-économique. Des gens connus traversent le récit, qu'ils soient nommés ou juste silhouettés (et pour ceux-ci, le petit jeu consiste à les reconnaitre). Les personnages féminins sont très forts, Cécile qui s'appuie sur sa foi chrétienne pour surmonter les épreuves et prendre en main l'intendance, et plus tard Prudence qui elle aussi, sur des croyances d'un autre type, renversera le cours pris par son couple. En vérité, il n'y a qu'un seul acteur réellement négatif, Indy, la femme d'Aurélien, une journaliste sans scrupules.
Le livre se lit à une vitesse folle car l'écriture est fluide, le rythme rapide. Je crois savoir que certains lui reprocheraient (entre autres ) de ne pas avoir de style, pour ma part j'identifie immédiatement une page écrite par l'écrivain : écriture fluide donc, extrêmement précise et documentée, presque clinique/analytique parfois avec le développement de réflexions historiques, philosophiques, religieuses, littéraires etc. appuyées sur des références pointues et moi j'aime ça ces références qui m'obligent à vérifier si c'est du pipeau ou non (et ce n'en est jamais, comme ici avec John Zerzan, Maximine Portaz etc.).
Un roman magnifique (?), construit sur des thèmes chers à l'auteur mais dont les plus belles pages - et oui, nous ne sommes pas loin du lyrisme parfois, lyrisme à la Houellebecq si je peux dire - sont celles qui traitent de l'amour, soit parce que les couples se défont, soit parce que d'autres ou les mêmes se (re)forment, dans la description des relations père/fils, et les larmes n'étaient pas loin quand la mort est évoquée, celle de parents condamnés et devenus légumes (le sort des vieux et de l'euthanasie est évoqué aussi), ou encore plus émouvant quand à la fin du livre, le cancer fera son entrée dramatique.
J'ai essayé de vous en dire le moins possible mais ce qu'il faut que vous sachiez, c'est qu'avec ce nouveau livre, Michel Houellebecq prend certainement un tournant très important qu'on pressentait venir. Alors si vous n'avez jamais ouvert l'un de ses livres (pour une raison ou une autre) avec celui-ci, c'est le moment ou jamais car moins clivant, moins brutal ou suspect que d'autres. Je suis prêt à prendre le pari qu'on en reparlera à l'automne, pour les remises de prix...
Un roman à ne pas rater.
" Etait-il responsable de ce monde ? Dans une certaine mesure oui, il appartenait à l'appareil d'Etat, pourtant il n'aimait pas ce monde. Et Bruno, il le savait, se serait lui aussi senti mal à l'aise avec ces burgers de création, ces espaces zen où l'on pouvait se faire masser les cervicales le temps du trajet en écoutant des chants d'oiseaux, cet étrange étiquetage des bagages " pour raisons de sécurité ", enfin avec la tournure générale que les choses avaient prise, avec cette ambiance pseudo-ludique, mais en réalité d'une normalité fasciste, qui avait peu à peu infecté les moindres recoins de la vie quotidienne. "
Michel Houellebecq Anéantir Flammarion - 730 pages -
Le livre est un gros pavé dont on note immédiatement que le titre et les noms de l'auteur et de l'éditeur son en lettres minuscules ; la couverture est dans un gros carton rigide, il y a une tranchefile et un signet en tissu rouge, pour nous offrir une bien belle édition. Par ailleurs, les caractères d'imprimerie sont assez grands, ce qui accélère la lecture, mais la raison est plus prosaïque, la vue de Michel Houellebecq baisse et il a du mal à lire quand c'est écrit trop petit ! ( Le Monde du 7/01/2022)