Les grands récits de super-héros -et c'est d'autant plus vrai dans le cas de DC Comics- sont aussi des histoires de transmission, de générations. Et c'est la véritable raison de leur permanence dans notre culture commune. Quelle que soit l'époque, les héros sont à nos côtés. Immuables mais différents. Identiques, mais déclinés sous formes d'avatars. Chaque révolution s'accompagne de sa "crise", et pour les éditeurs, c'est l'occasion de mettre en scène un récit ambitieux, qui apporte son lot de retouches, de réinitialisations des mythes, de subtiles réécritures. D'autant plus qu'il existe dans les comicbooks une infinité de mondes parallèles, où dans le même temps coexistent autant d'incarnations du même personnage que d'univers disponibles. L'heure est venue de s'atteler au futur, chez la Distinguée Concurrence. De donner un coup d'œil dans le rétroviseur, pour ensuite embrasser l'horizon, la ligne de fuite. Infinite Frontier s'ouvre avec un numéro oversized qui est un catalogue de promesses, d'avant premières, de présages. On y retrouve Yara Flor, la nouvelle et jeune amazone, un Jonathan Kent qui est devenu Superman, mais qui pourrait être une menace à la hauteur de l'espoir qu'il représente. Mais aussi les nouvelles ombres (la peur) qui menacent de couvrir Gotham, la libération de la parole pour Alan Scott qui accepte enfin sa vraie personnalité. Tout ceci constitue les prémices à l'avenir, à ce que sera l'univers narratif de Superman et consorts. Les Terres parallèles sont à nouveau au cœur du processus, et la Justice Incarnée, cet aréopage de héros qui est censé veiller sur toute la tapisserie dimensionnelle, va avoir fort à faire. Pour se familiariser avec celles et ceux qui vont être placés en tête de gondole, nous avons alors six récits extraits de Infinite Frontier Secret Files. Là, c'est avec des héros comme Obsidian et Jade (les jumeaux, enfants d'Alan Scott), avec le machiavélique Bones, avec un Roy Harper revenu des morts sans qu'il sache trop bien comment, que le lecteur va partir à l'aventure. Au centre de tout ceci, le multivers donc, sans oublier sa contrepartie négative dont nous avons récemment fait la connaissance, et le sentiment que le pire ne vient pas de se produire, mais est encore à venir, même si tout le monde semble être "revenu" après la crise récente. Ce qui est clair, c'est que ça ne va pas durer ainsi.
Pour recontextualiser précisément Infinite Frontier, disons qu'il s'agit des conséquences directes de la défaite du Batman qui rit, et par ricochet du fait que l'humanité toute entière est désormais au courant pour le Multivers. Entre déni et sidération, chacun essaie de s'adapter ou de ne pas y penser, de protester ou d'accepter. Ce qui n'a rien de surprenant à une ère moderne où tout est remis en question, tout est questionné, et où le complot se love dans chaque événement. Darkseid est le grand méchant qui trame dans l'ombre, comme c'est souvent le cas, depuis Terre Oméga, qui s'avère ne pas être tout à fait ce qu'on pourrait imaginer. Face à la lui, la Justice Incarnée, des héros piochés dans plusieurs Terres parallèles, avec des calibres comme le Président Superman Calvin Ellis, ou des personnages mineurs et baroques comme Captain Carrot. Joshua Williamson ouvre son récit par l'arrivée inopinée du Batman Flashpoint (le père de Bruce Wayne) sur la Terre de Calvin Ellis, à bord d'une fusée semblable à celle qui amena un Clark Kent encore bambin sur la nôtre. Nous suivons aussi un Barry Allen, manipulé par le Psycho Pirate, et les aventures d'Alan Scott et Obsidian, qui partent à la recherche de Jade, tandis que Roy Harper ne comprend pas ce qu'il fait en vie, et encore moins pourquoi il porte un anneau au doigt, qui fait de lui une sorte de zombie / Black Lantern dès qu'il puise dans ses pouvoirs. Le but semble être de consolider le nouveau statuquo et de préparer le terrain pour tous les bouleversements à venir. Si ça marche assez bien, c'est parce que les personnages y apparaissent tous attachants, chacun ayant sa ou ses scènes de bravoure, où il peut s'exprimer. Par exemple le Président Superman n'a jamais été aussi intéressant et central dans la grande tapisserie des choses, et on a vraiment envie d'en lire plus à son sujet, à l'avenir. Le dessin est solide, soigné, dans la grande tradition des comics super héroïques, signé Xermanico. Il est épaulé pour certaines scènes par toute une série d'artistes, et pas des moindres, comme Jesus Merino, Paul Pelletier, ou encore Norm Rapmund, l'encreur bon pour toutes les saisons. Non, Infinite Frontier n'est pas une de ces "Crises" qui laissent des cicatrices à jamais dans l'univers Dc, c'est plutôt l'occasion de développer un mystère, de bâtir un avenir, fait de lignes narratrices à exploiter prochainement. Le futur commence donc maintenant, dans ce gros album de début d'année.