"Nocterra marque mon retour au rôle de dessinateur qui ne s'occupe que de produits indépendants, et c'est une série que je voulais faire depuis des années. Un titre qui mélange l'horreur de mes œuvres indépendantes, telles que Whytches et American Vampire, avec le rythme effréné et l'épopée de mes histoires pour DC, dans le but d'offrir quelque chose de personnel, un peu dingue et très, très drôle, aux lecteurs. Je n'aurais pas pu rêver d'un meilleur co-auteur que Tony Daniel, un grand ami et une superstar de la bande dessinée américaine". C'est avec ces mots que Scott Snyder présentait Nocterra, titre qui débarque en Vf en ce début d'année chez Delcourt. Au menu, un univers bien sombre, dans tous les sens du terme. L'ambiance est à la réécriture post-apocalyptique de notre société, et la lumière a disparu, littéralement. Plus de soleil, la noirceur et le froid partout, une humanité aveugle. Pire encore, dans cette pénombre devenue la norme, tous les organismes vivants finissent par muter, devenir de véritables monstres. Cela concerne les êtres humains, les animaux, même les plantes. Il faut donc se protéger, et il n'existe qu'une seule solution efficace, se réfugier à l'abri de la lumière artificielle, de tout ce qui passe à portée de main, de la lampe de poche aux néons. Les groupuscules de survivants se sont réunis en communautés séparées les unes des autres, et il faut bien du courage pour aller de l'une à l'autre, et transporter le matériel, les denrées nécessaires pour subsister. C'est le cas de Val Riggs par exemple, l'héroïne de cette histoire, qui sillonne les routes à bord de son poids-lourd ultra customisé. La jeune femme n'est pas seule, puisqu'accompagnée de son frère cadet, Emory, qu'il va cependant falloir sauver de la gangrène noire, c'est à dire de cette infection qui gagne ceux qui restent trop longtemps privés de toute source lumineuse. Les rapports entre les personnages sont importants, au point que c'est avec cet aspect qu'on ouvre les différentes parties de Nocterra, grâce à des flash-backs qui nous ramènent à l'âge d'avant, de la vie en famille, aux premiers temps de la grande catastrophe. Ce qui fait que même si ce nouvel univers propose d'emblée tout un ensemble de règles du jeu propre à donner la migraine, on est cependant assez vite en terrain balisé, aptes à profiter du spectacle qui commence.
Le récit s'emballe vraiment quand Val reçoit une mission différente par rapport à d'habitude : un vieil homme nommé August s'approche d'elle et affirme qu'il connaît l'emplacement d'une "oasis" sûre, une véritable ville fortifiée, très différente des rassemblements éphémères de cabanes et de lampes dans lequel les rescapés vivent maintenant ; un endroit qui, vraisemblablement, accepterait d'accueillir Val et Emory à bras ouverts... pour peu que la jeune routière décide de l'escorter, lui et sa nièce Baley, jusqu'aux portes de la citadelle. Acte de foi, il faut donc se contenter de vagues promesses, et espérer que tout ceci ne se termine pas par une mauvaise surprise, d'autant plus que la requête semble provenir de celui qui est aussi le responsable de la fin du monde tel qu'on l'a connu! Bon, il faut être honnête, cette série ne brille pas par sa manière révolutionnaire de reformuler les codes du genre, mais au fond, est-ce bien un problème? Nocterra est à consommer pour ce qu'il est, à savoir un bon gros blockbuster d'action post apocalyptique (d'ailleurs en passe d'être adapté par Netflix) qui présente une héroïne badass incarnant à elle seule les fantasmes des années 90 et le coté moderne et assuré des héroïnes du XXI° siècle. La série utilise bien entendu une des peurs fondamentales du genre humain, celui d'être à jamais condamné à errer dans les ténèbres, et y mêle toute une série de concepts, de transformations monstrueuses, de cliffhangers convenus mais efficaces, qui font qu'on est happé par l'histoire assez rapidement, qui devrait dès lors ressembler aussi à un road-trip divisé entre plusieurs escales, une course en avant vers la lumière, ou le peu qu'il en reste, avec son lot d'embûches et de cruelles contre-vérités. Tony Daniel est bien entendu un petit plaisir visuel à lui seul, avec des planches truffées de détails, dynamiques, qui savent provoquer le frisson au bon moment, et parfois avec une économie de moyen encore plus éloquente (le vilain de cette histoire, tout en noirceur absolue, et simplement génial). L'aide bienvenue de Tomeu Morey à la couleur permet de combler habilement toutes les vignettes ne présentant pas de décor abouti (et dans le noir, cela peut se comprendre), mais plutôt un jeu d'ombres et de faisceaux, qui instaure un climat blafard et inquiétant à souhait. Sans la prétention de laisser une empreinte indélébile dans la légende des comics américains, Nocterra assume son statut, celui de divertissement bien calibré, bien troussé, qui donne indubitablement envie d'en savoir encore plus.