Guillaume Guéraud.
A près de cinquante ans - il va les avoir ce 30 janvier-, le fécond romancier Guillaume Guéraud (une trentaine de romans enfants et ados, une vingtaine d'albums et de bd jeunesse, trois livres chez les adultes), signe, chez un nouvel éditeur, un formidable roman coup de poing. "Rien nous appartient" (PKJ, 158 pages) s'inscrit dans la longue liste des romans pour ados aux sujets difficiles que l'auteur apprécie et où il excelle. Rappelons en trois: son premier, "Cité Nique-le-ciel" (Rouergue Jeunesse, 1998), "Je mourrai pas gibier" (Rouergue Jeunesse, 2005), "Ma grand-mère est une terreur" (Rouergue, 2017).
Ici, l'écrivain nous fait rencontrer Malik, 19 ans, qui laisse deviner la couleur dès l'avant-propos:
"Avant de faire ce que j'ai à faire, je voudrais mettre les choses au clair. Parce qu'après, ça va forcément m'échapper. Et je ne serai plus là."
Le héros narrateur donne immédiatement des précisions en ouverture du premier chapitre:
"Déjà, avant que les flics ou les médias racontent n'importe quoi, je vous annonce que je suis pas musulman. Alors n'allez pas croire que c'est un acte terroriste organisé par Daesh ou un attentat islamiste signé Ai-Qaïda et compagnie. Aucun rapport."Voilà le lecteur prévenu, Malik va commettre un attentat. Mais il n'en sait pas plus. Tout en répétant régulièrement son intention, le narrateur va raconter son itinéraire de vie. Le confier au papier et aux yeux qui s'y posent, l'air débonnaire. Comme si tout était habituel. Car pour lui, c'est sa vie. En vrac, il explique la banlieue, la cité, le nom étranger, la famille éclatée, la religion (ou non), l'école où il excelle, Fatima dont il est amoureux, les copains, les petits larcins, celui qui a mal tourné et l'a mis à l'ombre, les années d'isolement qui lui ont fait découvrir ce qu'il pouvait faire de son existence, comment réaliser ses rêves de liberté et vivre une vraie vie... C'était sans compter la pandémie - le roman se déroule actuellement.
Guillaume Guéraud aborde tout cela sans jugement, montrant le racisme et les fachos comme les solidarités et la confiance. Il le fait de son écriture vive, incisive, vivante, qui cogne parfois. Il nous happe avec son Malik qui glisse sur la pente du terrorisme. Maîtrisant sa narration et le suspense, il avance dans le destin de son héros tout en se mettant lui-même en danger en tant que romancier. En interpelant le lecteur. En plaçant son roman régulièrement à la limite du déséquilibre. Mais jamais il ne vacille ni ne tombe. Bien au contraire. "Rien nous appartient" est le cri d'un tout jeune adulte qui se révèle à nous dans ce qu'il a de meilleur et de pire, dans ses rêves et ses projets, dans ses illusions fracassées par un sale petit virus. Combien d'ados ne pourraient-ils pas être Malik? Un roman aussi dur qu'émouvant, remettant chacun à sa place sur le grand échiquier de la terre. A partir de 14 ans.
Les trois premiers paragraphes