Editeur : Le livre de poche jeunesse
Nombre de pages : 523
Résumé : Polyxène est une jeune fille qui arrive très vite aux bonnes conclusions. Pourtant, confrontée à une île qui défie la science, entourée d'aventuriers qui prétendent appartenir à des époques différentes, il lui faudra toute la capacité d'abstraction dont elle est capable. Surtout quand le seul moyen de quitter sa prison est de tuer un dragon et que sa seule arme est son intelligence…
- Un petit extrait -- Mon avis sur le livre -« Le chevalier ne cherchait pas à se faire apprécier ce qui, réalisa soudain Poly, devait demander une bonne dose de confiance en soi. Même elle, qui aimait le calme et ne courait pas après la vie sociale, aurait été incapable de se détacher à ce point du jugement des autres. Elle était fière d’aller à contre-courant des modes, des conventions et des mouvements de groupe. Mais c’était toujours dépendre du sens du courant. »
A chaque fois qu’une amie m’offre un livre, je me fais inévitablement la même promesse : celle de le lire le plus rapidement possible. En apparence, une résolution qui semble plutôt simple à réaliser. Mais bien sûr, inévitablement, il y a toujours quelque chose pour m’empêcher de tenir cette promesse : un service presse impromptue, une lecture commune oubliée, une crise de migraine, l’arrivée inopinée du cousin ou encore un devoir urgent à rendre … Et c’est horriblement frustrant, d’avoir atrocement envie de découvrir un livre, et de devoir sans cesse en repousser la lecture ! Et c’est d’autant plus frustrant quand le résumé est fort prometteur, et que vous pressentez au fond de vous-même que ledit livre va être un coup de cœur : alors même que la raison ne cesse de vous rappeler qu’il y a plusieurs auteurs et éditeurs qui comptent sur votre retour pour un service presse, qu’il y a des copinautes qui vous attendent pour débuter une lecture commune, que l’échéance de votre plus gros devoir de l’année approche à grands pas, vous ne pouvez pas vous empêcher de lorgner ce livre qui semble vous faire signe dans la bibliothèque. Alors, à force de l’imaginer sautiller en secouant ses petits bras de papier pour attirer votre attention, vous finissez par craquer : après tout, décaler une autre lecture de quelques petits jours, ce n’est pas bien grave, n’est-ce pas ?
Poly ne serait sans doute pas d’accord avec moi : Poly est une jeune fille très raisonnable, très rationnelle, très mature pour son âge, qui « arrive toujours aux bonnes conclusions » (selon sa mère) et ne laisse jamais, ô grand jamais, ses émotions prendre le dessus. Du moins, pas en temps normal. Car après des années et des années à subir passivement le harcèlement de cette bimpèche de Marion, face à une remarque plus méchante et blessante que toutes les autres réunies, Poly a craqué : elle lui a mis une baffe. Sans réfléchir. Mais surtout, et cela la choque plus encore qu’avoir agi sans réfléchir, sans le moindre remord. Tandis qu’elle quitte précipitamment les lieux, sous les regards éberlués et quelque peu apeurés du petit troupeau d’adolescents, Poly n’a en réalité qu’un seul regret : celui de ne pas avoir réagi plus tôt, celui d’avoir toléré toutes ces années ces insultes sans mot dire, celui de s’être écrasée face à cette horrible gamine adulée de tous. Laissant derrière elle son premier acte de bravoure – et de violence, ne cesse de lui répéter la petite voix désapprobatrice dans sa tête –, Poly va se réfugier en forêt, aux alentours des ruines du vieux château. Ce n’est que lorsqu’une bête qui ne ressemble absolument à rien de ce qu’elle connait lui saute dessus que Poly se rend compte … qu’elle n’est absolument pas là où elle aurait dû être. Pour percer les mystères de cet endroit énigmatique et hostile, et surtout pour comprendre comment en sortir, Poly ne peut compter que sur sa plus grande fierté : cette fameuse faculté à « arriver si vite aux bonnes conclusions ». Mais cela suffira-t-il ?
Un roman qui commence de façon relativement classique : nous faisons la connaissance d’une adolescente un peu différente (trop grande, trop intelligente, trop empotée ... trop noire) qui subit, qui encaisse, quotidiennement les moqueries et les insultes des autres jeunes, sans jamais se révolter, sans jamais contre-attaquer … Jusqu’au jour où sa rivale de toujours prononce la phrase de trop, cette horrible goutte qui fait déborder le vase. Tout comme Poly (en qui je me reconnais beaucoup, même si j’espère être un tantinet plus débrouillarde qu’elle), je ne suis pas violente de nature, mais il faut bien reconnaitre que je n’ai pas pu m’empêcher de songer que Marion n’a eu que ce qu’elle méritait … Dans le sens où les mots font parfois et souvent tout aussi mal, si ce n’est plus, que les coups, et que nul ne peut être attaqué constamment sans finir par se rebiffer un jour où l’autre. C’est une réaction purement instinctive, viscérale, lorsque notre inconscient se rappelle que l’être humain est un prédateur et non pas une proie, et qu’il a de quoi se défendre plutôt que de sans cesse fuir se terrer loin du danger. C’est un peu comme si notre corps prenait soudainement le contrôle pour éliminer la menace, avant même que l’esprit ait eu le temps d’analyser posément la situation et de décider comment il faut réagir … Pour Poly, c’est le choc : elle qui ne fait jamais rien sans peser le pour, le contre, sans anticiper les conséquences, elle qui est si fière d’être plus mature que les autres et de ne jamais répliquer, voilà qu’elle vient d’agir comme une véritable écervelée …
Alors Poly s’enfuit. Elle s’en défend, bien sûr, elle a besoin de croire qu’elle est plus forte que cela. Mais Poly s’enfuit. Elle ne fuit pas Marion et ses suiveurs, Marion et ses mots savamment choisis pour faire le plus mal possible. Non, Poly fuit sa propre réaction, elle fuit la marque rouge sur la joue de Marion, la preuve qu’elle a baissé la garde et s’est abaissé à gifler une autre fille comme n’importe qu’elle chiffonnière. Et plus encore, elle fuit le plaisir qu’elle a pris à le faire, la fierté qu’elle a ressenti en se rebellant, pour la première fois de sa vie. Poly est à la fois fière et honteuse de son comportement, fière de découvrir qu’elle a la force de faire face à ses adversaire, honteuse d’avoir cédé à la violence. A vrai dire, Poly ne sait plus vraiment où elle en est … et elle ne sait plus non plus où elle est. Sa seule certitude, lorsqu’elle relève enfin les yeux après cette fuite, c’est qu’elle n’est clairement pas là où elle s’attendait à être. Se pourrait-il qu’après s’être égarée à la violence, elle se soit également perdue dans une forêt qu’elle explore depuis sa plus tendre enfance ? Que lui arrive-t-il donc ? « Heureusement » pour elle, il s’avère finalement que non, elle n’y est pour rien … mais ce n’est pas forcément une bonne nouvelle. Car Poly doit faire face à l’impensable, à l’inconcevable pour une jeune fille rationnelle comme elle : la voici prisonnière d’une île jalousement gardée par un dragon, en compagnie de quatre autres jeunes ... dont un chevalier du Moyen-Age, une paysanne du seizième siècle, un maquisard et un explorateur dandy du dix-neuvième siècle.
Une fois encore, Poly ne réagit pas exactement comment elle l’aurait espéré : elle s’était toujours dit que s’il lui arrivait quelque chose d’anormal, elle saurait garder la tête sur les épaules et analyser la situation avec rigueur et sang-froid. Mais Poly est tout simplement incapable d’accepter ce que lui affirment ces compagnons d’infortune : ce n’est tout simplement pas possible, c’est un mauvais rêve, ou bien une mauvaise blague. Elle ne peut pas réellement être coincée sur une île surgie de nulle part, aux côtés d’un chevalier (certes séduisant et sympathique) persuadé qu’il va tuer le dragon à l’aide d’une Bible et d’une potion ! C’est impossible. Et pourtant … Si l’obstination de la jeune fille à nier l’évidence peut agacer, elle n’en reste pas moins terriblement humaine : on a beau s’en défendre, on réagirait très assurément comme elle. Et c’est bien là ce que j’ai le plus apprécié dans ce récit : il est juste. Poly n’est pas une héroïne, c’est une adolescente de notre époque comme toutes les autres, quand bien même elle a toujours affiché ouvertement, peut-être pour se rassurer, qu’elle est différente. Elle avait besoin de croire qu’elle valait mieux que les autres, besoin de s’en convaincre, car elle manque en réalité cruellement en confiance en elle. Elle se dévalorise encore plus que les autres ne la dévalorise. Et alors même qu’elle déteste qu’on lui fasse remarquer sa maladresse … elle est la première à se cacher derrière sa dyspraxie pour justifier qu’elle est inutile, incapable.
Et que ça nous plaise ou non, on est parfois comme elle : on s’offusque quand on pointe du doigt une de nos particularités, mais quand celle-ci peut nous apporter des « avantages » (ne serait-ce que pour se faire plaindre), on n’hésite pas à la brandir haut et fort … Et bien sûr, on condamne l’hypocrisie chez les autres, ce qui est quelque peu le comble de l’hypocrisie, sur le coup ! Ce qui fait le plus peur à Poly sur cette île, finalement, ce n’est donc pas le dragon qui ne vient que de temps en temps, ce n’est même pas les singes à grandes dents ou les sables mouvants … C’est qu’elle est bien obligée de se confronter à elle-même. Elle ne peut plus faire l’autruche et continuer à croire qu’elle est irréprochable. Elle est bien obligée d’admettre qu’elle est certes la première à clamer haut et fort que la discrimination, c’est mal … mais qu’elle est aussi la première à juger les autres, à les prendre de haut quand ils ne correspondent pas aux « critères » selon laquelle une personne est digne de respect selon elle … Poly est bien forcée de reconnaitre ses propres défauts … mais aussi ses propres forces, ce qui est peut-être plus difficile encore. Pour survivre et sortir de cette prison, nos cinq compagnons d’infortune ne doivent donc pas seulement apprendre à s’entendre (voire même à s’apprécier), ils doivent également accepter de tout remettre en question, en particulier eux-mêmes, pour se faire enfin confiance à eux-mêmes et en leurs capacités. Car pour devenir soi-même, il ne faut pas seulement prendre conscience de nos limites, de nos faiblesses, des mensonges qu’on se fait à soi-même, il faut aussi être prêt à reconnaitre qu’on est capable de faire bien plus que ce qu’on imaginait.
Ma chronique étant déjà outrageusement longue, même si je n’ai pas dit la moitié de ce que je souhaitais dire, je pense que je vais m’arrêter là car, vous l’aurez bien compris, c’est un roman incroyablement profond, puissant, pour lequel j’ai inévitablement eu un énorme coup de cœur ! On est vraiment dans un récit fort atypique malgré les apparences, pour la simple et bonne raison que c’est un récit à la limite du contemplatif : il y a beau avoir quelques passages de grande tension avec de l’action et du suspense, on est avant tout dans une quête existentielle et initiatique. L’accent est mis sur les relations entre les différents personnages, mais aussi et surtout sur les blessures et les rêves de chacun, sur ce qu’ils voulaient être,sur ce qu’ils regrettent d’avoir été, sur ce qu’ils sont réellement. C’est un récit qui appelle, certes, à la tolérance envers les différences d’autrui, mais qui invite aussi et surtout à l’acceptation de soi, pour le meilleur et pour le pire … Alors bien sûr, certains regretteront assurément qu’on n’en sache pas plus sur le pourquoi du comment de l’île et du dragon, certains regretteront surement les quelques longueurs ou la précipitation du dénouement … mais ce ne sont que des détails pour les lecteurs qui ne cherchent qu’à pinailler, qu’à chipoter. Car ce n’est finalement pas le plus important. Le plus important, c’est que c’est un récit particulièrement saisissant, poignant, bouleversant même, qui aborde avec douceur et justesse des réalités très dures, qui transmet de beaux messages sans jamais être moralisateur ou condescendant. C’est beau, c’est fort, que demander de plus ?