Petites ballade cruelles, ce sont des contes, un peu comme ceux que l'on destine aux enfants, mais le dernier adjectif est important. Cruelles car la morale qui est présente ici, dans chacun de ces petits récits, est plutôt à réserver pour l'adulte. Chaque partie correspond à une saison, et c'est donc l'alternance des cycles de la nature qui rythme cet ouvrage. Nous sommes à chaque fois aux prises avec une histoire qui fait référence au monde animal, végétal, ou encore à celui des esprits humains. Parfois l'animalité s'incarne sous forme d'une créature, à mi-chemin entre une bête et une déesse, comme cela arrive avec cette chouette qui aide un skieur qui vient de se briser la jambe, après avoir lui-même libéré l'oiseau du piège d'un collet; ou encore cette mystérieuse créature au long cheveux blancs qui protège son fils, un sanglier, traqué dans la forêt par ces imbéciles de chasseurs, toujours prêt à faire couler le sang. On trouve aussi une mystérieuse génisse blanche qui se transforme en une délicieuse sylphide. Délicieuse en apparence, car son but n'est autre que d'arracher le cœur d'un misérable éphèbe, qui métaphoriquement n'en possède pas, et abuse de sa beauté pour séduire toutes les femmes qui croisent sa route. Nous parlions d'esprits, comme cela se produit avec un vieil homme japonais, qui voit débarquer dans son humble demeure un petit garçon au destin tragique. Et à chaque fois, si ces petites ballades sont aussi réussies, c'est également parce que le dessin est, il faut l'admettre, réellement magnifique. Il se dégage une atmosphère envoûtante, il y a quelque chose de délicat et de magique, dans ce que fait Marga Biazzi, autrement appelé Black Banshee. Repérée par Shockdom, maison d'édition italienne indépendante, très active sur le marché français ces derniers mois, elle a débuté sa carrière par une production personnelle publiée sur internet. Ici le chemin est tout tracé, poésie animiste et écologique, et châtiment inévitable pour ceux qui ignorent le sens du mot respect.
Cet album, qui se présente sous la forme d'un petit artbook de format quadrangulaire, aux pages glacées et si agréables au toucher, est aussi une ode à la nature. Que l'homme ne cesse de pervertir, de plier à ses caprices, et qui se venge, de manière jouissive, car cruelle. L'existence, tout simplement, à travers son cycle le plus évident, c'est à dire l'alternance entre l'élan vital, et la mort, qui ne peut jamais être éludée, est aussi au centre du travail de Marga Biazzi. Qui récupère peurs et traditions ancestrales, tant ces petits récits puisent dans des archétypes, des histoires qui nous semblent avoir déjà été racontées, sans pour autant que ce soit sous cette forme là. Il y a quelque chose de presque mythologique dans certains des personnages féminins, qui sont représentées avec des vêtements pour le moins succins, une apparence diaphane, croisement entre la nymphe et l'animal, entre la douceur du féminin (la mère nourricière) et l'horreur qui se cache derrière les apparences (la cruauté de la nature, qui comme le veut l'adage, sait aussi "se venger"). Tout le travail de l'artiste à l'œuvre ici vise à célébrer cette dualité, et ne néglige absolument rien, jusque dans les petits détails de fonds de planche, la faune et la flore, qui participent aussi à cette célébration païenne qu'est ce recueil étonnant. Si on peut noter une certaine rigidité dans plusieurs pleines pages, on observe que ça n'entrave en rien la qualité de la lecture, et l'évident plaisir plastique à voir cet univers merveilleux et sobrement menaçant, dans lequel on se perd avec délectation. C'est en fait indescriptible par les mots, puisque vivant et fourmillant de mille sensations. Une expérience insolite et recommandée chez Shockdom France.