Amalia (Aude Picault – Editions Dargaud)
Amalia est ce qu’on pourrait appeler une « héroïne du quotidien ». Que ce soit à la maison ou au travail, cette jeune maman d’une famille recomposée se donne à fond pour que tout soit parfait. Mais à force de courir dans tous les sens, Amalia n’en peut plus. Sollicitée de tous côtés, elle flirte de plus en plus dangereusement avec le burn-out. Il faut dire que son entourage ne fait rien pour lui faciliter la tâche. Lili, sa fille de 4 ans, est adorable mais hyper-active. Nécessitant une attention permanente, elle met le bazar partout: avec elle, chaque petite action du quotidien – enfiler son pyjama, mettre ses chaussures pour aller à l’école – se transforme en une épreuve physique digne de Koh-Lanta… A sa manière, Nora est épuisante, elle aussi. La belle-fille d’Amalia est en pleine rébellion ado: elle ne participe jamais aux tâches ménagères ni aux conversations, elle ne fait rien à l’école et elle passe le plus clair de son temps à essayer de devenir une influenceuse sur les réseaux sociaux. Quant à Karim, le compagnon d’Amalia, il n’est pas vraiment d’un grand secours. Quand il n’est pas plongé dans une série sur son ordinateur ou en train de faire du jogging, il est surtout préoccupé par son travail dans une boulangerie industrielle confrontée à une maladie du blé. Son entreprise s’appelle « Au bon pain » et son slogan est « La tradition a du goût » mais derrière cette jolie façade, ses méthodes de production sont plus que douteuses à cause de l’utilisation de pesticides et de soi-disants « améliorants ». Tout n’est pas rose non plus au travail d’Amalia. Certes, elle vient d’être promue « Team Leader » dans son entreprise spécialisée dans la gestion du risque, mais on lui en demande tout le temps plus. Et on insiste pour qu’elle fasse preuve d’agilité, le nouveau mot à la mode chez les managers. Alors forcément, Amalia va finir par s’écrouler, victime de ce que son médecin appelle une « intolérance au rendement »…
Il ne faut pas se fier à la couverture de la BD « Amalia », qui montre une jeune femme détendue dans la nature. Car en réalité, le thème central du livre est bien cette fameuse charge mentale qui pèse sur le quotidien de toutes celles qui doivent combiner les pressions de la vie familiale et de la vie professionnelle. Si on ajoute à cela les désastres écologiques qui angoissent tous les parents par rapport à l’avenir de leurs enfants, cela crée un beau cocktail pour vous saper le moral… « Dans cette BD, j’aborde le thème de l’épuisement. Je mets en scène de simples citoyens, des parents et leurs enfants, dans une société qui impose d’être en permanence dans la performance », explique l’autrice. Autant dire qu’Amalia, sa famille et ses collègues sont des personnages qui devraient parler à beaucoup de gens parce qu’ils sont parfaitement en phase avec notre monde actuel. Derrière des traits très simples, qui font penser à ceux de Sempé par moments, Aude Picault est une fine observatrice de notre société et de ses travers. Le ton est léger et il y a pas mal d’humour, mais le constat est implacable: l’autrice montre bien à quel point notre société basée sur l’image et la performance est particulièrement violente et destructrice pour chacun d’entre nous. Evidemment, c’est surtout le personnage d’Amalia qui est touchant: à force de tout vouloir mener de front, cette jeune trentenaire s’épuise sans s’en rendre compte. Mais ce qui est intéressant, c’est que les autres personnages ont tout autant de mal à trouver leur place. Après « Idéal Standard », qui avait pour héroïne une célibataire trentenaire en quête impossible de l’homme idéal, Aude Picault livre à nouveau un portrait particulièrement juste et finement observé de la vie moderne, à mi-chemin entre bande dessinée et sociologie.