Bienvenue dans l'Amérique rurale et profonde : la petite ville de Grendel dans le Kentucky avait autrefois de nombreuses raisons de se réjouir, à commencer par une activité minière florissante, qui avec le temps à totalement périclité. Aujourd'hui le charbon est une énergie plus ou moins abandonnée et c'est l'ensemble de la communauté qui est frappé de plein fouet par cette évolution somme toute naturelle. Assez curieusement, le nouveau business florissant à Grendel c'est la weed, autrement dit l'herbe qui se fume et permet de passer des moments de détente pas toujours licites. En parallèle, nous rencontrons une autre curiosité locale, un gang de bikers droit sortie de Sons of anarchy, si ce n'est qu'il faudrait rebaptiser la série Daughters of anarchy car ce sont toutes des filles qui le composent. Les Harlots ne plaisantent pas, elles se battent, boivent, jurent comme les motards les plus caricaturaux. Jusque-là rien donc qui aurait de quoi faire bondir le lecteur de sa chaise et l'amener en terrain insolite. C'est vers la fin du premier épisode que le récit se complique et qu'on commence à comprendre qu'il y a beaucoup plus que ce quotidien répétitif et restreint à voir. Il y a même quelque chose d'absolument incroyable, un monstre qui apparemment est tapi dans la mine de charbon et qui de temps en temps sort de sa tanière. Un monstre quasiment sous contrôle, puisque régulièrement il faut lui offrir une offrande, un individu qu'il va dévorer, et qui va permettre ensuite à la petite bourgade se bénéficier d'une culture florissante, hors norme. Une sorte de pacte qui est destiné à être brisé, remis en question. Tout débute vraiment avec le retour de Marnie, venue assister aux obsèques de son père.
Le mélange des genres, ce plaisir de lecture qui n'est pas si courant que cela. Jeff McComsey démarre tranquillement, avec une attention particulière aux atmosphères, ce sentiment d'abandon voire de déréliction qui afflige la ville de Grendel, où à part faire pétarader la moto, boire, ou fumer, il n'y a pas l'air d'avoir grand chose à faire. Mais l'arrivée, ou plutôt le retour de Marnie, permet de soulever un voile sur ce qui s'y passe vraiment, et de la chronique sociale et familiale nous débarquons sur le terrain de l'horreur. La créature cachée dans les mines est effroyable, ses victimes passées et les ossements/restes qui jonchent sa tanière ont de quoi soulever le cœur. Le scénariste n'a pas de temps à perdre (quatre épisodes) et son histoire est linéaire, impitoyable, et ne cherche aucunement à se placer sous le signe de la morale, de l'héroïsme. Il aborde juste des faits, des secrets enfouis, la terrible révélation de la vérité, la nécessité de la transcender pour mettre fin à un "accord" meurtrier, un pacte sanguinaire qui avait uni Grendel jusque là, depuis bien des années. Tommy Lee Edwards est comme un poisson dans l'eau, dans cette ambiance bien lourde. Son trait minutieux, sa manière d'utiliser l'encrage pour remplir les espaces et densifier les vignettes par la pénombre fait des merveilles. Il excelle aussi bien dans la tranquillité, les scènes statiques, que dans l'explosion gore qui éclabousse certains moments forts de cet album. Hommage discret et malin à la légende de Beowulf, Grendel,Kentucky ne se laisse pas définir si facilement. Une feinte à gauche, un crochet, et vous êtes au tapis, c'est à dire conquis, avant d'avoir compris pourquoi. Encore une excellente petite série droit venue du nouvel éditeur AWA Upshot Studios, la première à tomber dans le giron de Delcourt, après les parutions chez Panini. Ne laissez pas filer cette histoire.