Redemption : un western post-apocalyptique chez panini

Par Universcomics @Josemaniette

Bienvenue dans la petite ville de Redemption, pour ce qui ressemble fort à un western post-apocalyptique. Dans un futur pas si lointain que ça, la société américaine s'est effondrée et désormais une des denrées les plus rares et des plus précieuses, c'est l'eau. La communauté toute entière est fortifiée et à l'intérieur des murs, c'est le révérend Stonewater qui fait la pluie et le beau temps. Le shérif est à ses ordres, et c'est une dictature absolue qu'il a instaurée, dans ce microcosme brûlant d'un soleil impitoyable. Dès les premières pages, ce sont les hurlements de Ines Obregon, par exemple, qui retentissent, pour avoir enfreint les lois locales, c'est à dire avoir pratiqué un avortement sur une jeune adolescente. Elle est condamnée à mort dans d'atroces souffrances. Sa fille Rose décide d'abandonner le village, pour partir à la recherche de celle qu'on nomme la Terreur. Cette quête n'est pas si stupide que cela, car il s'agit, si on en croit les récits locaux, d'une sorte de pistolera invincible et infaillible. Vous avez présent à l'esprit le Punisher par exemple, et bien imaginez donc une version âgée et féminine de Frank Castle, désabusée et solitaire, et qui plus est, qui aime les femmes. Ce détail est d'importance, car avec de telles mœurs, elle ne pouvait qu'entrer en collision avec le fanatisme bigot de Stonewater et du régime qu'il a instauré. C'est d'ailleurs cela qui semble caractériser les œuvres de Christa Faust chez AWA en ce moment, c'est-à-dire la présentation de personnages qui échappent aux normes habituellement représentées; des héroïnes qui ne ressemblent pas à ces bimbos en costumes moulants qui occupent actuellement le devant de la scène, mais plutôt des femmes banales, voire invisible aux yeux des autres (la mère de famille de Bad mother) ou encore une gunwoman ostracisée, comme peut l'être ici la Terreur. Un vent de changement qui pour l'instant fonctionne très bien, et permet de donner corps à des créations attachantes ou poignantes.

Bien entendu, le récit de Faust finit par mêler le passé et le présent, à travers des liens familiaux et sentimentaux qui unissent les différents personnages. Au fur et à mesure que le background de la Terreur se dévoile, on comprend pourquoi elle a choisi de s'isoler, pourquoi elle en veut tant à Stonewater et son shérif. Et on se laisse leurrer un instant par son désir de ne plus jamais prendre part à la moindre représailles, de vivre égoïstement en solitaire, loin de la stupidité et de la violence du monde; mais petit à petit elle devient une sorte de mentor pour la jeune Rose, et accepte de lui apprendre toutes les techniques possibles pour se défendre, et ne jamais rater sa cible. Lorsqu'arrive le moment de passer enfin à l'action, est-il encore possible, pour notre pseudo justicière, de se tenir à l'écart des événements? En tous les cas la scénariste a l'habileté de nuancer les origines de sa création, qui n'apparaît absolument pas comme une femme incomprise et innocente, mais a aussi du sang sur les mains, et un passé fait de zones d'ombre qui n'appelle pas nécessairement au pardon. En parallèle, l'épuisement des ressources naturelles, les conséquentes de la raréfaction de ce qui est indispensable à notre survie, fait partie des éléments moteurs d'un récit qui est très sombre et impitoyable jusqu'au dénouement où l'espoir et la révolte se confondent. Du côté de Mike Deodato, il faut souligner, une fois encore, l'incroyable versatilité d'un dessinateur qui a trouvé chez Awa un terrain de jeu idéal. Qu'on le charge de mettre en images un récit urbain, un western poisseux, ou même des robots (dans Not all Robots, à venir prochainement en vf), il est toujours aussi bon, avec un style proche du photo réalisme, une sobriété dans les effets qui vise à une efficacité totale, un montage éclaté qui est devenu depuis quelques années une marque de fabrique ultra reconnaissable. La lumière de Lee Loughridge magnifie l'ensemble, et donne à Redemption cette patine de rouille et de corruption idéale pour faire de l'album une œuvre aboutie et saisissante. Loin des canons du genre, avec des héroïnes aussi modernes qu'en décalage avec les propositions habituelles, voici donc un one-shot sur lequel vous pouvez investir sans craindre la déception.