Joseph Vaughan vit avec sa mère à Augusta Falls, une petite bourgade de Géorgie. A l'âge de douze ans, il découvre le corps horriblement mutilé d'une petite fille qu'il connaissait bien. Ce sera le début d'une très longue série de crimes perpétrés sur cinq états durant une trentaine d'années. La police ne parvient pas à démasquer le tueur, et le petit Joseph qui s'était promis avec sa bande d'amis de protéger les filles du quartier échoue lamentablement à sa mission. Des années plus tard, lorsque l'enquête semble enfin élucidée, Joseph pense oublier cette histoire. Il est devenu écrivain à succès et s'est installé à New York, mais il comprend brutalement que le tueur est toujours à l'oeuvre, et décide alors de reprendre l'enquête pour démasquer le coupable.
L'affaire démarre en novembre 1939, dans l'Amérique profonde, à la veille de la seconde guerre mondiale: le contexte impressionne et l'auteur retranscrit habilement cette époque. Dans la petite ville d'Augusta Falls, tout le monde se connait; Joseph qui perd son père très jeune, est un enfant sensible et rêveur, il aurait probablement eu beaucoup de difficultés à surmonter les épreuves futures sans l'aide précieuse de son institutrice, qui va le guider vers sa future carrière d'écrivain. Comment ne pas être traumatisé à vie lorsque l'on découvre à 12 ans le corps démembré d'une enfant ? Si l'important pour Joseph est de protéger les filles de son quartier, puis de découvrir le coupable, l'intérêt que portera le lecteur à ce roman ne réside pas dans l'intrigue elle-même mais plutôt dans le style littéraire de l'auteur.
Il y a bien un serial killer, trente-deux victimes tout de même, même profil, même mode opératoire mais on ne s'attarde pas sur l'enquête, les policiers de diverses villes et états se réunissent, mais sans avancée probante. Le suspense est pourtant bien présent, un roman de 600 pages qui se dévore et pourtant il ne s'y passe presque rien. Pourquoi ce roman est-il si addictif ?
L'écriture sensible et poétique de R.J Ellory que j'ai découvert pour la première fois l'an passé dans le m'a de nouveau convaincue : métaphores et comparaisons sont sans cesse renouvelées pour retranscrire le plus précisément possible les sentiments de son personnage, durement malmené par la vie. Seul le silence est un récit d'une noirceur sans pareille, outre les multiples crimes atroces, le narrateur lui-même est mis à mal: lorsque l'on croit percevoir une éclaircie dans la vie de Joseph Vaughan, le voilà frappé par la foudre. Celui-ci possède un caractère opiniâtre mais n'est pas sans faille et les multiples cicatrices que possède son l'âme pourraient bien le perdre, on ne peut que s'attacher à ce narrateur-écrivain qui relate les trente années les plus difficiles de sa vie. Sa quête de justice se fait en parallèle de sa quête d'écrivain : touché personnellement par les actes du tueur, Joseph en tant que romancier se construit par sa recherche désespérée du coupable, jusqu'à aboutir doublement à l'œuvre de sa vie.
L'écriture puissante et profonde de R.J Ellory, que certains n'hésitent pas à comparer à celle de grands auteurs classiques américains, sert donc parfaitement ce roman qui, plus qu'un thriller, est un excellent roman noir, témoin d'une époque et confiant à son principal protagoniste une quête personnelle vitale.