Ils sont finalement assez nombreux ces écrivains qu'on qualifie de " visionnaires " et comme je n'ai pas l'intention d'en dresser une liste qui de toute façon ne serait pas exhaustive, citons Jules Verne et plus globalement, ceux qui œuvrent dans la S.F.
Nous, vous et moi donc, qui aimons la littérature avons tous lu Verne, notre Jules chéri, car j'ai du mal à croire qu'au moins l'un de ses romans ne soit du lot des meilleures lectures de votre vie. Pour ma part, Vingt mille lieues sous les mers s'inscrit comme l'un des chefs-d'œuvre qui me soit passé sous les yeux. Le roman date de 1870 et l'on y croise le Nautilus, un sous-marin électrique. Quand j'ai lu le roman adolescent, ce n'est pas ce qui m'a marqué. Or, en vérité, l'invention du sous-marin électrique n'est apparue qu'en 1888 ! Une découverte que l'on doit à Stefan Drzewiecki (1844-1938) un scientifique, journaliste, ingénieur et inventeur polonais qui a travaillé en Russie et en France. Il construisit le premier sous-marin à propulsion humaine et propulsion électrique en 1881 avant de le produire en série en 1888.
Donc moi, ce sous-marin électrique ne m'avait pas épaté (je parle de son mode de propulsion et non de son confort intérieur) ; mais qu'en était-il, pour un lecteur adulte en 1870 ? Et nous arrivons au but de ce billet : pouvons-nous réellement savoir ce qu'un lecteur ordinaire d'autrefois pouvait ressentir à lire Jules Verne ? Le décalage d'époque me semble rédhibitoire et chaque époque avec ses écrivains prophètes donnera le même constat.
Mais, et là peut-être que je m'égare, il me semble qu'un lecteur quelconque d'aujourd'hui en sait beaucoup plus qu'un lecteur d'hier et bien moins qu'un lecteur de demain. Plus l'humanité avance dans le temps, plus elle en sait. La conséquence, plus on en sait, moins on est étonné ou surpris. Pour ne prendre que quelques exemples, à ce jour nous avons connu la Shoah, les Khmers rouges et le maoïsme, Trump et les réseaux sociaux, Tchernobyl, le sida et la Covid... bref, à part le débarquement des Martiens je ne vois pas ce qui pourrait nous arriver de réellement ou complètement nouveau ? Les exemples précédents se renouvèleront certainement pour certains, sous une forme approchante, mais ils ne seront donc plus surprenants.
Toute dystopie ou prophétie littéraire d'aujourd'hui ne pourra être en conséquence qu'une anticipation prévisible pour ceux qui savent lire l'Histoire, relier le passé au présent, distinguer les signes précurseurs du futur. De là à en déduire qu'à l'écrivain visionnaire corresponde le lecteur aveugle, il n'y a qu'un pas.
Ou bien que je raisonne exactement comme celui qui lisait Jules Verne en 1870 ?