Qui n'a jamais rêvé de pouvoir remonter le temps, et par conséquence de changer le cours des événements tragiques, pour le bien de l'humanité ou pour son propre bénéfice? C'est exactement ce en quoi constitue le métier des agents Tarik et Avery, qui travaillent pour une organisation dont l'objectif et de réguler le flux temporel, c'est-à-dire faire des bons en arrière pour empêcher tel ou tel assassinat, ou au contraire permettre à tel ou tel événement de suivre son cours, même s'il consiste en une tragédie incommensurable. Par exemple, sauver la vie d'Adolf Hitler, tout en sachant très bien ce que cela signifie par la suite. C'est par cette séquence forte que s'ouvre RetroActive; la question de savoir s'il serait légitime d'éliminer Adolf Hitler avant que les nazis ne mettent en place la solution finale, qui fait partie des fantasmes de l'humanité les plus récurrents, le point Godwin de la science-fiction par excellence. Ici c'est l'occasion d'une séquence de course poursuite particulièrement réussie, une petite leçon de storytelling de la part de l'auteur complet Ibrahim Moustafa, qui signe scénario et dessins. A partir de là, le lecteur est plongé dans un univers où le héros passe ses journées ailleurs, non pas dans le sens qu'il est dépêché sur un nouveau lieu de travail chaque jour, mais plutôt dans une nouvelle année... et parfois cela se passe mal. Lorsqu'une de ses missions tourne court et qu'il est abattu sur place par exemple, Tarik revient à son temps présent presque aussitôt, pour ensuite repartir en arrière, fort des leçons retenues de son échec précédent. Une sorte de boucle infernale qui s'installe, jusqu'à ce que la mission soit accomplie, au risque d'en perdre la boule. C'est d'autant plus difficile pour notre pauvre agent que sa mère a elle aussi perdue la sienne. Alzheimer est une maladie contre laquelle nous ne pouvons encore rien faire, si ce n'est assister en spectateur impuissant à l'inévitable.
Dans l'univers de RetroActive, tout le monde ne peut pas se targuer de la faculté d'opérer ainsi dans le temps. Il existe cinq bases dans le monde, appartenant à cinq des plus grandes puissances géopolitiques (pas la France, c'est dit, mais la Russie ou la Chine, bien sûr), et le soin de remettre de l'ordre dans le cours du temps est alors aussi une arme, comme peut l'être le nucléaire. Utilisée à mauvais escient, cela pourrait signifier une catastrophe mondiale, une réaction en chaîne à travers des enchaînements de causes à effets erronés. Tarik fait donc partie de ceux qui veillent au grain, et peu importe s'il faut sauver un dictateur, ou abattre soi-même le président Kennedy, une mission est une mission, on ne la discute pas, jamais. Et si un autre agent finit par trahir, se corrompre, on lui donne la chasse, on l'élimine. Le problème avec les histoires de balades temporelles, c'est qu'il arrive toujours le moment où le lecteur se croit plus intelligent que le scénariste; il finit par trouver des incohérences, relever des éléments qui indiquent un dysfonctionnement et par conséquent, il rejette la faute sur celui qui a écrit l'histoire. Ici la tentation est parfois grande, mais il faut attendre la fin du récit pour comprendre un peu mieux ou veut en venir Ibrahim Moustafa, qui d'ailleurs a aussi l'intelligence de présenter des personnages bien caractérisés, très humanisés. On s'attache ainsi assez rapidement à Tarik, sa propre problématique familiale, son intransigeance et son honnêteté professionnelle. Comme le tout est dessiné avec beaucoup de brio, dans un style qui n'est pas sans rappeler par endroits des artistes comme Leinil Yu ou Jerome Opena, voire même aussi un peu d'Olivier Coipel, on peut assez facilement prendre beaucoup de plaisir à la lecture d'un album qui se suffit à lui-même, et aborde un sujet déjà maintes fois traité, tout en parvenant à éviter l'écueil de l'ennui et de la redondance. C'est donc une lecture hautement recommandable, comme d'ailleurs tout ce qui sort ces temps derniers chez les humanos et son étiquette comics originaux (H1) dont on aime beaucoup suivre l'évolution.