Chez Delcourt, on embarque sur les océans pour le premier tome de Capitaine Vaudou, une histoire située à la fin du XVIIe siècle et inspirée de l'univers d'un jeu de rôle éponyme. L'ensemble est présenté par Jean-Pierre Pécau et Darko Perovic, et a tout pour attirer le regard, car de la couverture aux pages intérieures, il s'agit d'une œuvre particulièrement léchée et esthétiquement aboutie. Nous tenons là un mélange intéressant qui télescope le récit classique de pirates avec les traditions vaudous. L'histoire débute avec la mésaventure des frères Mc Leod, deux jeunes irlandais qui sont destinés à être vendus comme esclaves, pour avoir eu le tort de se rebeller au protestantisme dominant dans leur contrée. Un des deux (Angus) meurt assassiné durant l'abordage de leur vaisseau en haute mer, quant au jeune Cormac, lui, il se découvre une prédisposition naturelle bien étonnante, la maîtrise de pouvoirs surnaturels dont il ignore l'origine et l'étendue. Enfermé dans la cale du navire, il apprend peu un peu ce que sont les esprits vaudous les loas, à quel point ils peuvent être terrifiants, quelles sont les forces occultes qu'il serait en mesure de libérer. Il apprend aussi l'existence des zombies. Attention il ne s'agit pas ici de personnages revenus à la vie à la suite d'un virus quelconque, mais bien du zombie de la tradition vaudou, c'est-à-dire la capacité de transformer quelqu'un que l'on croit mort ou qui l'est vraiment, en une sorte de créature privée de pensées autonomes et de libre arbitre, une marionnette en chair et en os, parfois d'ailleurs en chair putréfiée, qui peut servir d'esclave ésotérique, d'homme de main, bref une arme fort utile. Ce premier tome place sur la carte tous les personnages qui vont être utiles à la compréhension de l'histoire, et bien entendu, il assume parfois des contours didactiques prononcés. Si vous ne connaissez pas grand-chose à tout ce que je viens de nommer, vous allez tout de même vite appréhender ces concepts sans grande difficulté, car tout est amené habilement au détour des dialogues et de l'ignorance de certains personnages, tout finit par être dévoilé. Ceci au point que cette cinquantaine de pages peut aussi être interprétée comme une sorte de vade-mecum pertinent sur le sujet.
Bien entendu, une telle histoire se doit d'avoir un personnage sombre, un méchant détestable et redoutable, pour prendre le lecteur dans ses filets. Ici ce sera le Baron Mort Lente, qui dès son aspect physique se présente comme une menace perfide, celui qui puise dans le vaudou et l'occultisme les moyens d'arriver à des buts peu recommandables. On le découvre menaçant, nimbé de mystère, et il permet à cet album de plonger plus loin encore dans ce rapport entre pirates et ésotérisme, qui est le vrai fil conducteur de la série. Je dois admettre que je ne connais pas le jeu de rôle qui sert de point de référence à cette bd, mais ce qui fait que je souhaitais vraiment m'y pencher, c'est le dessin de Perovic, magnifié par une mise en couleurs experte de Nurya Sayago, qui parvient à respecter les différentes phases, les différents tons de l'intrigue, avec une aisance et une évidence bluffante. Le style est réaliste, et dans le même temps épouse diablement bien les contours fantastiques et magiques d'une histoire qui peut sembler un peu décousue par moments, mais apporte tellement d'informations et de personnages en un seul tome qu'il était logique que cela se produise un peu au détriment de la fluidité de l'intrigue. Mais répétons-le, cette plongée dans les Caraïbes de la fin du XVII° siècle est envoutante et artistement très soignée. On appréciera aussi les liens qui se tissent entre différentes communautés, comme les esclaves noirs, les frères irlandais McLeod, ou encore un rabbin juif, qui apporte aussi un élément capital et ésotérique propre à ses croyances, le Golem. C'est riche, dense, ambitieux, et beau, c'est donc un achat recommandé et un titre dont on attend la suite avec une vraie curiosité.