L’autre moitié du monde, Laurine Roux, Les éditions du Sonneur, janvier 2022, 252 pages.
1930. L’Espagne. Dans le delta de l’Ebre, des paysans, exploités par un couple de tyrans dont le fils use et abuse du droit de cuissage, vont peu à peu prendre conscience de l’injustice qu’ils subissent et vont se fondre dans la révolte qui pointe son nez dans une Espagne meurtrie. Nous vivons là les prémices de la guerre civile, Franco n’est pas loin et la République se meurt.
Ce roman de Laurine Roux est très différent des deux autres et c’est une réussite totale. Roman historique, roman de la passion pour une cause, roman qui souligne la maltraitance des femmes, nous sommes loin de la dystopie qui lui allait à ravir. L’écriture est toujours là, celle qui m’avait déjà tant séduite.
Laurine Roux a l’art de trouver le verbe qui fait décoller ses phrases, les mots qui s’harmonisent entre eux et font s’élever une petite musique qui bouscule les cœurs.
« Le jour beurre à peine l’horizon. »
« Nectarines, abricots, pêches, figues, pastillent les arbres. »
« Au loin, l’aube dorlotait l’horizon. »
« Cette fille, elle le débordait, c’était une tempête, une sale petite tempête, qui décoiffait et déployait. Et lorsqu’elle en avait fini, elle laissait un vide immense, des plages désertes qu’un simple rire suffisait à peupler. »
Laurine Roux raconte aussi bien les événements qu’elle évoque la nature. C’est pourquoi on avale les pages avec frénésie. Tantôt on se régale d’un mot bien choisi, tantôt d’une phrase évocatrice, tantôt on soutient les personnages, on les suit avec ardeur, on espère avec eux, on est anarchiste, on veut se venger de la Marquise et de son atroce fils. On ne les accompagne pas, on est eux.
Certains passages résonnent toujours aujourd’hui :
« Le futur des anarchistes, il le promet radieux. Juan se dégage, marmonne entre ses dents. Il est d’avis que les hommes ne sont pas foutus de rester tranquilles autour d’une table. Il y en aura toujours un qui voudra la place d’honneur. »
La construction est habile, certes pas originale, mais la deuxième partie arrive, comme un moment suspendu, après une ellipse d’une trentaine d’années, et elle ouvre la porte des possibles, des suppositions. Elle permet aussi de respirer. Enfin, la troisième partie comble le vide, donne des réponses, et fait couler des perles d’eau sur nos visages en apportant une conclusion qui caresse notre goût pour les fins ouvertes et qui laissent percer un grain d’espoir, parce que « derrière chaque bouquet au bord de la route se tient un fantôme », un fantôme qui accompagne les vivants pour qu’ils n’oublient pas.
Alors, oui bien sûr, lorsque Luz apparait, on se doute qu’elle aura un lien avec les autres personnages, on comprend même très vite lequel, mais peu importe, on y croit, on en veut, on en redemande et on se laisse embarquer au gré de cette superbe écriture, sans broncher, et même avec délectation.
Merci à Joëlle qui m’a permis de gagner ce roman, aux éditions du Sonneur et à lecteurs.com.