Editeur : l’école des loisirs
Nombre de pages : 492
Résumé : Calpurnia Tate a onze ans. Dans la chaleur de l’été, elle s’interroge sur le comportement des animaux autour d’elle. Elle étudie les sauterelles, les lucioles, les fourmis, les opossums. On est dans le comté de Caldwell, au Texas, en 1899. Tout en développant son esprit scientifique, Calpurnia partage avec son grand-père les enthousiasmes et les doutes quant à ses découvertes, elle affirme sa personnalité au milieu de ses six frères et se confronte aux difficultés d’être une jeune fille à l’aube du XXe siècle.
- Un petit extrait -- Mon avis sur le livre -« J'avais toujours pensé que je n'étais pas comme les autres filles. Je n'appartenais pas à leur espèce. J'étais différente. Je n'avais jamais pensé que mon avenir serait le même que le leur. Mais à présent je comprenais que je m'étais trompée, et que j'étais exactement comme les autres filles. J'étais censée consacrer ma vie à une maison, un mari, des enfants. Il était prévu que j'abandonne mes études d'histoire naturelle, mon carnet, ma rivière bien-aimée. »
De tous mes centres d’intérêt enfantins, ma passion dévorante pour l’astronomie était sans le moindre doute la mieux acceptée par mon entourage. Après tout, c’est bien connu, les « petits génies » sont tous fascinés par l’espace et ses mystères : dans mon étrangeté, je faisais enfin une chose « comme les autres » (quand bien même « les autres » en question étaient tout aussi bizarres que moi). Toujours cette écrasante exigence de la normalité, même dans la différence ! Mais auraient-ils été si tolérants s’ils savaient que si je scrutais avec tant d’attention le ciel, c’était seulement pour retrouver « ma planète » ? Je me sentais tellement en décalage avec les autres habitants de la Terre que la seule explication concevable (parce qu’elle me laissait une porte de sortie), c’était que je venais d’ailleurs : un jour ou l’autre, pensais-je alors, je trouverai bien un moyen de rentrer « chez moi », où je serai entourée d’êtres comme moi, qui me comprendraient et que je comprendrais, où je n’aurai pas besoin de faire semblant pour me fondre à peu près dans la masse et où, peut-être, je gouterai enfin le Bonheur … L’implacable raison a fini par briser cette douce et naïve espérance, et il a bien fallu se résoudre à survivre tant bien que mal dans ce monde qui me correspond si peu. Heureusement, les livres sont là pour apporter un peu de joie … et, parfois, j’y fais la « connaissance » de personnages un peu comme moi. Et même s’ils ne sont fait que d’encre et de papier, ça fait malgré tout chaud au cœur de savoir qu’on n’est pas totalement seuls ….
Lorsque son frère le plus âgé (qui est également son frère préféré) lui offre un magnifique carnet en cuir, Calpurnia Tate, « onze-ans-trois-quart-quasiment-douze », sait immédiatement ce qu’elle veut en faire : y inscrire toutes ses observations scientifiques, sans oublier ses innombrables questions. Pourquoi y a-t-il des petites sauterelles vertes et des grandes sauterelles jaunes ? Pourquoi y a-t-il tant de cardinaux autour de la maison cette année alors qu’ils n’y trouvent pas assez de nourriture ? Comment l’opossum connait-il l’heure ? A quoi sert une bibliothèque si on n’y trouve pas de livres ? Enivrée par toutes ces interrogations, avide de comprendre le monde qui l’entoure, la jeune fille se tourne vers l’unique membre de sa famille capable d’y répondre : son grand-père, naturaliste à ses heures perdues – lorsqu’il n’est pas enfermé dans son laboratoire pour tenter de produire un alcool à base de noix de pécan. Tandis que son aïeul lui enseigne les voies de la Méthode Scientifique, de la théorie darwiniste de l’Evolution (en dépit des polémiques) ou encore du système de Linné pour nommer une nouvelle espèce, Calpurnia entrevoit un avenir des plus attrayants : elle ira à l’université et suivra les traces de Mme Curie, de Mrs. Maxwell, de Miss Anning. Mais sa vocation de savante se heurte aux ambitions de sa mère, qui veut faire de son unique petite fille une grande dame de la haute société, bien comme il faut : cuisine, broderie et leçons de savoir-vivre, voilà ce qu’elle doit apprendre, et non pas les inepties de son marginal de grand-père !
Il ne faut jamais se fier aux apparences : elles sont souvent bien trompeuses. Avouons-le, la couverture, d’un jaune criard manquant sérieusement de bon goût, n’est pas particulièrement engageante … Et pourtant, le récit qui s’y cache est vraiment excellent : tendre, drôle et pétillant, il sent bon l’été et l’enfance ! Curieuse et espiègle, notre jeune et attendrissante héroïne et narratrice, Calpurnia, nous replonge dans cette douce et lointaine époque où il suffisait d’un rien pour nous émerveiller, nous ébahir, nous intriguer, et où tout nous semblait encore possible, y compris et surtout les rêves les plus fous. C’était l’époque bénie de l’enfance encore éternelle, de son innocence et de son insouciance encore intactes : rien ne semblait pouvoir briser ce perpétuel ravissement qui est celui de l’enfance, ce sempiternel étonnement face à toutes les expériences qui s’offraient à nous. Plus de cent ans nous séparent, et pourtant Calpurnia se fait le portrait craché de cette enfance envolée : à travers elle, c’est l’enfant que nous étions qui s’ébat joyeusement dans les hautes herbes, qui se jette avidement dans l’eau bien fraiche de la rivière, qui savoure avec des étoiles dans les yeux un bon verre de boisson qui pétille. Toute une ribambelle de petits plaisirs, de petits bonheurs que l’on égrenait sans même s’en rendre compte, sans imaginer un seul instant qu’un jour viendra où nous ne serons plus capables de les savourer … Il faudrait conseiller aux enfants de savourer chacun de ces petits instants comme si c’était le dernier, pour mieux les ancrer dans notre mémoire : se constituer une réserve de petits souvenirs pour plus tard …
Car arrive le jour où, sans crier gare, notre enfance nous échappe, irrémédiablement, pour ne plus jamais revenir. La veille encore, tout était encore comme avant, comme toujours. Comment pourrait-il en être autrement ? Mais voilà que soudainement, rien n’est plus comme avant, comme toujours. Tout est sens dessus-dessous, comme si le monde s’était soudainement mis à marcher sur la tête. Et on a beau essayer de toutes ses forces de lutter contre le courant, impossible de revenir en arrière. On ne retrouve jamais l’innocence, l’insouciance, la candeur de notre enfance : elles sont définitivement perdues, fuyant devant la dureté de la vie, devant la terrible réalité qui s’impose à nous. On ne fait pas ce qu’on veut. On ne fait pas ce qu’on rêve. Il faut faire ce qu’on attend de nous. Rentrer dans le moule façonné par la société où nous vivons. Surtout ne pas faire de vagues, ne pas s’écarter des chemins battus. Suivre sagement le mouvement, comme un gentil petit mouton bien élevé. L’espace d’un instant, bercé par les babillements émerveillés de cette petite fille qui ressemble tant à l’enfant que nous étions, nous avons voulu croire que Calpurnia pourrait réaliser tous ses rêves, qu’elle n’aura pas à subir cette tragique et douloureuse désillusion qui sonne la fin de l’enfance. L’espace d’un instant, aveuglé par cette douce quiétude d’une enfance presque retrouvée, nous nous laissons aller à une enfantine naïveté : peut-être que Calpurnia n’aura pas besoin de dire adieu, une bonne fois pour toutes, à son enfance ? Peut-être aura-t-elle plus de chance que nous autres ?
Mais il n’en est rien, et voici que l’étau se resserre autour de notre petite Calpurnia : de la même manière que les spécimens qu’elle attrape dans son filet n’ont aucune chance d’échapper au bocal qu’elle leur destine, notre pauvre petite scientifique en herbe ne peut échapper à l’avenir qui a été tissé autour d’elle à son insu. Calpurnia a l’immense malchance d’être l’unique fille d’une fratrie de sept : c’est donc sur elle et sur elle seule que se concentrent tous les espoirs et toutes les ambitions de sa mère. Et par la même occasion, toutes ses déceptions, face aux broderies immondes, aux gâteaux immangeables, aux manques de savoir-vivre de cette petite sauvageonne qui n’a rien, absolument rien, de la jeune fille de bonne famille qu’elle est supposée devenir. Si encore elle s’intéressait à la musique et à la littérature, et non pas aux sauterelles et aux plantes mutantes ! Jusqu’alors inconscience de causer tant d’inquiétudes et de déconvenues à ses parents, Calpurnia se rend progressivement compte que ses projets et les leurs diffèrent du tout au tout … Son frère préféré lui-même semble perplexe, pour ne pas dire franchement réprobateur, quand elle lui fait part de son désir de devenir scientifique. Pire encore, son grand-père, son mentor, ne parait pas aussi enthousiaste qu’elle, faisant preuve d’une réserve qu’elle ne lui connaissait pas ! Petit à petit, tandis que s’effiloche son enfance, Calpurnia doit se rendre à l’évidence : elle aura beau résister, se rebeller, s’indigner, elle devra bien apprendre à repriser les chaussettes et réussir ses rôtis de dindonneau … Pauvre, pauvre Calpurnia !
En bref, je pense que vous l’aurez bien compris : je pourrais vous parler de ce roman pendant encore des heures et des heures, ce qui ne laisser planer aucun doute, c’est un véritable, un fabuleux, un magnifique coup de cœur ! Je vais donc me contenter d’aller à l’essentiel : ne vous laissez pas arrêter par la couverture (qui pique un peu les yeux, je vous l’accorde bien volontiers), et n’hésitez pas une seule seconde à vous plonger dans ce roman émouvant et rafraichissant, tout empli de poésie et de nostalgie ! Laissez-vous entrainer par les aventures et mésaventures (surtout culinaires) de la jeune Calpurnia, laisser-vous attendrir par cette petite héroïne au grand cœur qui n’hésitera pas à se dresser contre ses parents pour préserver le petit cœur fragile de son petit frère amoureux des animaux, qui n’hésitera pas non plus à errer dans la nuit pour rattraper l’erreur qui pourrait empêcher son grand-père de réaliser son plus grand rêve ! Véritable condensé de douceur et de petits bonheurs propres à l’enfance et aux grandes vacances, ce récit vraiment pas comme les autres nous invite à renouer l’espace d’un instant avec l’enfant que nous avions été, celui que l’on pensait ne plus jamais revoir, enfoui qu’il était sous tous les tracas et les responsabilités de notre vie d’adulte. Grâce à la pétillante Calpurnia, nous réapprenons à nous émerveiller et nous étonner de tout ce qui nous entoure, à croquer la vie à pleine dent et également à savourer tous les instants que nous pouvons passer avec ceux que nous aimons … Une chose est sûre : j’ai vraiment hâte de me procurer et de dévorer le second opus !