Première publication Au Diable Vauvert pour l’autrice Morgane Caussarieu et première rencontre avec l’autrice pour Alberte (et ça ne sera pas la dernière). Une belle rencontre pleine d’hémoglobine et de référence aux années 90.
Printemps 1997, dans une petite station balnéaire des Landes, Jonathan, 10 ans, vient d’être kidnappé.
Selon ses meilleurs amis, le ravisseur serait une femme à barbe. Jonathan est retrouvé une semaine plus tard sur une aire d’autoroute, mais sa mère, Marylou, peine à le reconnaître…
Beaucoup de choses ont changé en lui, la plus déroutante étant l’apparition d’une vertèbre supplémentaire en bas de son épine dorsale. En quoi se transforme Jonathan, et que lui est-il arrivé lors de son enlèvement ?
Des transformations du corps…
La métamorphose des corps est la thématique centrale de Vertèbres. Aucun effet de surprise à la transformation de Jojo en une créature étrange (la quatrième de couverture garde le mystère mais sincèrement c’est un mystère peu épais qui ne dure pas bien longtemps) dont l’apparence est déjà dévoilée sur la couverture du livre. Mais l’intérêt de l’ouvrage de Morgane Caussarieu ne semble pas se trouver là. Exit l’effet de surprise et bonjour la métaphore de l’adolescence. Une métaphore où le bodyhorror tient une place de choix, l’autrice ne nous épargnant pas les détails horrifiques. Le tout nous plonge dans une ambiance assez étrange nous faisant entrer en empathie avec les personnages tout en percevant l’aspect sordide de certaines scènes. Le corps et le comportement de Jojo se modifient sous nos yeux et l’on s’enfonce dans cette histoire dont on comprend, dès le départ, qu’elle ne prendra fin qu’une fois que la métamorphose du petit garçon sera complète et que l’enfant sera devenu « animal ».
…Et de l’esprit
Le corps de Jojo change à vue d’œil et c’est depuis ceux de Sasha, une de ses meilleures amies, et de Marylou, sa mère, que nous l’observons. Nous sommes donc témoins du changement qui s’opère dans leurs esprits, du regard nouveau qu’elles posent respectivement sur leur ami et leur enfant. L’autrice nous propose ainsi une réflexion sur la transformation des corps et le regard que posent les personnes qui en sont témoins sur celui qui devient Autre. Progressivement la monstruosité de la créature prend le pas sur ce qu’il restait du petit garçon…
L’évolution des personnages est un des éléments clefs de ce roman et nous avons ressenti un véritable attachement pour les deux narratrices. Deux personnages féminins à différents stades de leur vie. L’une, petite fille qui veut être et se désigne comme un garçon en partie parce qu’elle associe le masculin à la liberté. L’autre, femme à la tête d’une famille monoparentale, considérée comme une moins que rien et une « salope » dans le voisinage. Elle souffre, par ailleurs, d’un syndrome dont on traite rarement en littérature (c’est aussi un des gros points forts de ce roman, on a adoré le traitement que l’autrice en a fait… Mais on vous en dit pas plus, faut laisser un peu de suspens aussi !) et dont Morgane Caussarieu tire une des lignes directrices de son roman.
Des sujets féminins et du care
L’écriture de ces deux personnages nous a beaucoup touchées. Elles s’adressent tour à tour à nous, l’une via son journal intime, l’autre par le truchement de ses pensées. Occupant toute deux une place similaire dans leurs familles respectives, elles se présentent comme des personnages attentifs aux besoins des autres, toujours prête à prendre soin des hommes de leur entourage (comme on leur a appris), bien souvent à leur dépens. Les deux narratrices se détesteront longtemps, comme mise en compétition l’une avec l’autre parce qu’elle partage le même statut de « femme de la famille ». En ce sens, la fin du roman nous a totalement bouleversées pour les messages qu’elle véhicule et on s’est surprises à pleurer tant le comportement de l’une et l’autre nous ont semblé comme une catharsis, un abandon (dans le sens second du terme, c’est-à-dire selon le CNRTL : « Action de laisser aller son corps, son cœur, son esprit, etc. à leur pente naturelle ») à la sororité. Oui c’est inattendu pour un roman fantastico-horrifique, on vous l’accorde. Mais on a pleuré.
Un hommage aux 90s
Impossible enfin de parler de Vertèbres sans parler de l’univers ultra-référencé que développe Morgane Caussarieu. Celles et ceux qui ont grandi dans les années 90 ou les ont bien connues par un moyen détourné (personnellement nous avions toutes les références grâce à nos frères et sœurs plus âgés) devraient se régaler. Mais les références ne s’arrêtent pas à du namedropping de marques et produits dérivés de l’époque, loin de là. Sur le font même du roman, on n’a pas pu s’empêcher de penser aux classiques du cinéma et de la littérature des années 90s. Ainsi Morgane Caussarieu reprend par exemple le trope de la bande de copains, souvent présente dans les productions culturelles de l’époque (Les Goonies, Ça, etc.) ou encore celui de la petite ville de banlieue calme en apparence (on peut penser encore une fois à King ou bien à Freddy les griffes de la nuit).
Ces thématiques nous ont évidemment beaucoup plu et on a dû convaincre nos cerveaux que cette histoire se déroulait dans les Landes et non pas dans un village paumé de l’Oregon tant les inspirations américaines de Morgane Caussarieu semblent évidentes.
Vertèbres est une grande réussite. Morgane Caussarieu nous propose une histoire ultra-référencée dont on prend plaisir à suivre les personnages tout en peignant le tableau glauque d’une ville balnéaire des Landes.
Il y a quelque chose de la narratrice de La Vraie vie chez Sasha et quelque chose de la nouvelle The Body de King dans ce livre. Un même amour pour l’adolescence et le morbide nous semble-t-il. Deux thématiques qui s’allient parfaitement, Morgane Caussarieu vous en fait la démonstration.
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