Spawn : une édition spéciale trentième anniversaire chez delcourt

SPAWN : UNE ÉDITION SPÉCIALE TRENTIÈME ANNIVERSAIRE CHEZ DELCOURT
Si je vous dis à tous que 2022 va être l'année de Spawn, j'en connais pas mal qui vont sourire, voire même carrément rire sous cape. Ceux-là ils auront tort, bien entendu! Car si certains ont lâché l'affaire depuis pas mal de temps, d'autres n'ont jamais abandonné ce personnage mythique des années 90 et beaucoup de nouveaux lecteurs ont pris le train en marche ces derniers temps. Il faut dire que Todd McFarlane a de la suite dans les idées. Dorénavant, plus qu'une série régulière, c'est un univers tout entier qui se construit autour de la créature infernale, avec notamment des séries comme King Spawn, où l'horreur est omniprésente, ou encore Gunslinger Spawn, où il est question d'un autre avatar infernal, tout droit sorti du Far West (et une équipe de Spawn arrive, avec The Scorched). Et comme vous le savez, en France le personnage a toujours été choyé par Delcourt; il est disponible sous forme de splendides albums qui reparcourent toute sa carrière. Et voici qu'arrive en ce mois de mai une édition spéciale 30e anniversaire qui comprend les 15 premiers épisodes de la série, y compris ceux qui ont tendance habituellement à disparaître dans les réimpressions, c'est-à-dire les travaux de Neil Gaiman et Alan Moore. Si vous êtes encore novice, ou distrait, je me permets de vous rafraîchir la mémoire : 
Au début des années 90, Todd McFarlane est une star des comics. Son style qui mêle allègrement grotesque et spectaculaire a déjà permis de relancer plusieurs séries chez Marvel, et tout particulièrement Hulk (dans sa version grise) et Spider-Man. Avec le tisseur, l’artiste va encore plus loin : il crée de toutes pièces un nouveau titre déconnecté de la continuity dont il se charge d’écrire aussi le scénario. Les ventes explosent, bien que les thématiques abordées soient tout sauf révolutionnaires. Todd mise beaucoup sur les monstres, l’exagération anatomique et des planches riches en détails baroques, sombres et ultra dynamiques. Une propension à faire primer l’aspect visuel au détriment de l’histoire, que nous allons retrouver lorsque plusieurs grands noms de l’époque décident de fonder une nouvelle maison d’édition, où les personnages sont la propriété leurs créateurs ; c’est le phénomène Image comics. MacFarlane en est, bien entendu, et il emporte avec lui une créature sortie tout droit des enfers, mais qui œuvre pourtant pour le bien : voici venir Spawn (le rejeton) alias Al Simmons, ancien marine chargé des opérations spéciales, une existence passée avec du sang sur les mains, jusqu’à ce qu’un sursaut de moralité entraîne son assassinat et une trahison au plus haut niveau de l’Etat. Al est si amoureux de Wanda, sa femme, qu’il pactise avec celui qu’il pense être le Diable en personne, pour retourner sur Terre, et la revoir. Mais comme tout le monde le sait, il ne faut jamais se fier au Démon, et de fait, il revient cinq ans plus tard sous les traits d’une créature putride recouverte d’un étrange costume vivant (Todd nous ressert le symbiote de Spiderman, Venom, à une autre sauce) et doté de pouvoirs extraordinaires, qui toutefois le consument à chaque fois qu’il y a recours. Quand à sa femme, elle s’est remariée entre temps, avec l’ancien meilleur ami de son premier mari, et elle a désormais une charmante petite fille, alors que Simmons était convaincue qu’elle était stérile! SPAWN : UNE ÉDITION SPÉCIALE TRENTIÈME ANNIVERSAIRE CHEZ DELCOURT
Bref, dans le genre retour raté, il n’y a guère mieux (ou pire). Spawn trouve refuge et réconfort auprès des clochards du quartier, qu’il défend contre une série de créatures absurdes et nauséabondes, la première d’entre elles étant le Violator, un autre monstre des enfers qui semble avoir un rôle à jouer dans la formation de rejeton infernal de Simmons. Notre nouveau héros doit aussi arrêter un violeur et tueur d’enfants, Billy Kincaid, et un cyborg loué par la mafia du nom d’Overt-Kill. De l’action en barres à chaque épisode, du sang qui gicle un peu partout, des tonalités obscures comme la nuit, voilà pour la recette de base du nouveau carton qui secoua la décennie et fit s'affoler les compteurs de vente. N’allez pas chercher au départ une profondeur métaphysique au scénario, ni une ambiance urbaine réaliste à la Miller. Il s’agit là d’une série qui mise avant tout sur l’efficacité, avec un discours ultra efficace, sur le grand combat entre les Enfers et le Paradis, sur l’Armaggedon céleste qui guette, et le rôle que les créatures recrutées par l’un et l’autre camp auront à jouer sur le champ d’honneur. Le monde de MacFarlane n’est pas joli joli : les êtres sont souvent exagérément gras, petits, maigres, à la limite de la caricature sur pieds. Son Spawn concède beaucoup à l’esthétique gothique, chaînes et tenue sombre de rigueur, c'est d’emblée une créature romantique, otage d’un enjeu qui le dépasse, dupé par des forces supérieures qui en ont fait un simple jouet. Mais les quelques moments d’introspection sont surtout l’occasion de pleurer ou de nourrir le désir de se venger, Spawn n’approfondit guère son nouveau statut en dehors des perspectives qu’il lui ouvre pour assouvir son ressentiment. Nous nagions alors en pleine période «Image» où chaque détail anatomique, chaque case se devait d’être passée à la gonflette. Après les sixties/seventies et leur usage intempestifs de psychotropes (couleurs criardes et dessins aux Lsd) les nineties s’ouvrent sur un surprenant traitement aux hormones et aux anabolisants. Mais bon sang que ça en jette, que cette esthétique nous a retourné le cerveau, alors, et comme elle fonctionne finalement encore très bien aujourd'hui, comme vous le verrez très bientôt (car vous allez acheter, hein, ne faites pas les idiots) le Gunslinger Spawn de Brett Booth. Delcourt marque le coup, pour les trente ans, avec un pavé en couverture rigide du plus bel effet, le genre de cadeau parfait pour les nostalgiques, ou convaincre les derniers réticents. Spawn est une icone désormais, un classique moderne, et ce genre de célébration précieuse et vibrante vous arrache une petite larme. Oui, elle est chouette cette édition spéciale, et on ne boude pas notre plaisir coupable. SPAWN : UNE ÉDITION SPÉCIALE TRENTIÈME ANNIVERSAIRE CHEZ DELCOURT