Editeur : XO
Nombre de pages : 485
Résumé : Une nouvelle ère s’ouvre pour Tara Duncan. Celle qui fut sans doute la sortcelière la plus puissante qu’on ait jamais vue sur AutreMonde a perdu sa magie. Depuis deux ans, l’héritière de l’Impératrice d’Omois vit comme une simple humaine – ce qui s’avère nettement moins drôle que prévu… Tandis que les tensions grandissent entre sortceliers et non sortceliers, Cal doit faire face à un événement bien plus grave encore : Tara est enlevée ! Fou de rage, le jeune homme est contraint pour la retrouver de s’allier avec son ennemi de toujours, Magister.
- Un petit extrait -« Il réfléchit quelques secondes, pendant que derrière lui le flic bredouillait qu'il devait retourner dans la salle et ouvrit la porte du bureau où se trouvaient Mara et Archange. Pour découvrir un spectacle ahurissant. Mara, à califourchon sur un policier, était en train de l'étrangler pendant que deux autres types gisaient à terre assommés et qu'Archange essayait de l'empêcher de tuer le gars tout rouge.
- Ah, fit Cal, c'est aussi une solution. Se débarrasser des enquêteurs...je n'y avais pas pensé. Un peu plus extrême, mais bon. »
- Mon avis sur le livre -
Etre déçu par quelqu’un, c’est toujours difficile. Mais être déçu par une personne qu’on respecte et admire énormément, c’est à la limite de l’insurmontable, de l’insupportable … de l’impensable, même. Je n’aurai jamais osé imaginer que Sophie Audouin-Mamikonian pourrait un jour me décevoir : elle a toujours été si respectueuse de ses lecteurs, si désolée lorsqu’une date de sortie était décalée par son éditeur, si tracassée lorsqu’elle devait annulée une dédicace au dernier moment car elle était malade … La stupéfaction, la peine, et même, avouons-le, la colère, n’en ont donc été que plus fortes lorsque les déceptions ce sont enchainées : à trois reprises, elle a entamé une nouvelle saga (Les AutreMondes de Tara Duncan, La fille de Belle et le cycle Tara et …), et à trois reprises, elle a finalement abandonné en cours de route. Une fois, je veux encore bien comprendre : ça arrive à tout le monde de se lasser d’un projet qui semblait enthousiasmant au premier abord. Mais trois fois de suite, ce n’est pas correct. Ce n’est pas respectueux vis-à-vis de tous ces lecteurs qui attendaient avec impatience la suite de l’histoire. A qui on avait même d’ores et déjà fait miroiter le titre et le résumé du second tome. A qui on a balancé une fin bien frustrante pour accentuer encore plus l’envie irrésistible de se lancer dans la fabrication d’une machine à avancer le temps pour ne pas avoir à attendre plus longtemps. C’est sans doute pour cela que je n’avais encore jamais relu ce volume jusqu’à présent : l’annulation de ce second cycle a vraiment été très difficile à accuser, et je n’avais pas le courage de remuer le couteau dans la plaie …
Deux ans. Deux ans déjà que Tara Duncan, héritière du tout-puissant Empire d’Omois et autrefois la sortcelière la plus puissante d’AutreMonde, a perdu sa magie. Deux ans de pur bonheur : quand bien même la planète s’arrêterait de tourner, ce n’est plus vers elle qu’on se tournerait en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Deux ans passés avec son cher et tendre Caliban à se reposer de toutes leurs aventures passées, à voyager comme deux amoureux presque normaux. Jusqu’à ce que Tara tombe enceinte. Et même très enceinte, puisque Tara attend des jumeaux. Et que son fichu instinct, probablement exacerbé par toutes ces hormones, se mette à hurler qu’un danger approche. Et soudain, tout s’emballe : Cal est envoyé dans les plaines du Mentalir pour enquêter sur la disparition massive et incompréhensible (et donc suspecte) de gnomes, licornes et centaures, tandis que Tara et son amie/garde du corps vampyre Selemba (elle aussi bien enceinte, mais de façon nettement plus digne qu’elle) tentent de retrouver les paons pourpres aux cents yeux d’ors, emblèmes de l’Empire, qui ont également disparus sans laisser la moindre trace … Quelque chose ne tourne définitivement pas rond, et Tara, qui a tant pesté contre sa maudite magie, ne souhaite désormais plus qu’une seule chose : qu’elle lui revienne. Pour qu’elle puisse protéger les deux petites crevettes qui grandissent et gigotent dans son ventre, et qu’elle aime déjà plus que tout et quiconque au monde. Car elle a définitivement un très, très mauvais pressentiment …
Si je laisse de côté la frustration innommable qui m’a donc poussé à ne même pas regarder cet opus pour ne pas raviver le petit pincement au cœur qui surgit inévitablement quand je pense à ce second cycle avorté, je peux sans hésitation affirmer que Tara et Cal est tout simplement excellent, peut-être même meilleur que tous les précédents. Peut-être parce que les personnages principaux ont grandi, muri, et parce que l’histoire a très logiquement suivi le même chemin. Tara adolescente était au mieux attendrissante, mais la plupart du temps un tantinet agaçante. Mais la Tara adulte, elle, est vraiment touchante, attachante. Elle a toujours fait passer les autres avant elle, c’est une qualité qu’on ne peut pas lui nier … mais le syndrome du sauveur est tellement contagieux chez les héros de roman que cela n’émouvait pas outre-mesure. Désormais, ce n’est plus le monde et les innocents que Tara veut à tout prix sauver (même si elle ne peut pas s’en empêcher, on ne se refait pas) … ce sont ses enfants. Cela peut sembler tout aussi cliché, la figure de la maman-lionne qui ne recule devant rien pour ses bébés, mais cela rend Tara bien plus « humaine », bien plus proche de nous, car c’est une préoccupation tout à fait « ordinaire » (bien plus, en tout cas, que d’empêcher une vache stellaire de mâchouiller et ruminer toute vie sur les planètes qui passent à proximité). Ceux qui trouvaient que Tara était un peu trop héroïque, trop altruiste, apprécieront sans doute plus cette Tara plus « égoïste », qui veut bien sauver d’illustres inconnus, si et seulement si ça ne met pas ses bébés en danger … et qui préfère laisser les illustres inconnus se débrouiller seuls si cela est nécessaire à la survie de ses bébés.
Et, privée de sa magie, Tara est aussi bien plus vulnérable. Inconsciemment sans doute, grisée et bridée par le fait d’être la sortcelière la plus puissante, celle sur qui reposait la si lourde responsabilité de garder tout le monde en vie, Tara ne s’autorisait plus à ressentir la peur, le doute. Elle estimait ne devoir compter sur l’aide de personne, devoir et pouvoir tout affronter seule. Redevenue une « simple » humaine, Tara renoue aussi et enfin avec sa fragilité, son émotivité. Elle redevient une jeune femme comme toutes les autres : quand c’est trop, c’est trop, elle a le droit de dire stop, de lâcher prise, de baisser les bras. De demander, réclamer, supplier de l’aide. De ne pas vouloir être toute seule. De pleurer parce qu’elle veut sa maman. Car elle n’a que vingt-deux ans. Elle n’est encore qu’une enfant qui a été privée de son enfance. Parce que jusqu’à ce que sa magie s’évapore, personne ne voyait l’adolescente paumée qu’elle était : tout le monde ne voyait en elle que la solution à tous les problèmes. Et même maintenant que sa magie surpuissante s’est envolée, il y en a toujours pour ne voir en elle que cette surpuissante sortcelière, et non plus une toute jeune femme terriblement enceinte de jumeaux. Car l’amour rend aveugle, dit-on, mais visiblement la haine aussi : tout poisseux de colère vengeresse et d’avidité mégalomane, le grand méchant de cet opus ne recule devant aucune barbarie, aucune cruauté. Il met tous les sortceliers dans le même sac, y compris d’innocents nourrissons qui n’ont rien demandé ni rien fait à personne. A force de voir des monstres partout, il en est devenu un lui-même …
Et il fallait bien un méchant de cette ampleur (même si, comme bien souvent, Sophie s’est amusée à le tourner en ridicule à plusieurs reprises) pour briser la paix et la sérénité si durement acquise sur AutreMonde, pour briser net le cocon de bonheur que Tara et Cal avaient si patiemment tissé autour de leur petite famille à venir. Un méchant tout neuf, qui n’a rien à voir avec toutes les menaces précédentes : rien de mieux pour redonner un peu de peps à cet univers ! Certains reprochaient parfois à Sophie de faire trainer ses intrigues en longueur, d’étirer sans fin les temps de latence et d’incertitude : ils ne pourront assurément rien dire de tel pour cet opus, car elle nous a au contraire concocté un récit follement trépidant, au rythme effréné, endiablé. Pas le moindre temps mort à déplorer : du début à la fin, il ne cesse de se passer quelque chose. Coups de théâtre, fausses pistes, compte à rebours, trahisons et contre-complots, cavalcades, face-à-face … Nos pauvres héros désemparés n’ont pas le temps de souffler, et le lecteur n’a assurément pas le temps de s’ennuyer. L’action est omniprésente, sans pour autant devenir étouffante. On n’est pas dans la surenchère de scènes épiques, mais bien plutôt dans une sorte de crescendo de tension remarquablement bien maitrisé : chapitre après chapitre, on sent l’urgence enfler, on a le cœur qui bat de plus en plus vite, on a même les mains moites, tandis que se rapproche inexorablement l’apothéose finale qu’on espère tout en craignant, qu’on imagine sans prédire, qu’on pressent mais qui nous file entre les doigts pour mieux exploser quand on ne s’y attend plus. Du vrai génie !
En bref, vous l’aurez bien compris : s’il n’avait pas été annulé, il ne fait absolument aucun doute que ce nouveau cycle aurait été meilleur encore que le premier ! Ce qui aurait dû être un « premier tome » (et qui est donc devenu une sorte de « hors-série » bâtard) était vraiment plus que prometteur : on est vraiment dans un récit bien plus mature, bien plus profond, que tout ce que Sophie nous avait offert jusqu’à présent. Le plaisir de retrouver Tara, Cal et leurs amis se mêle à celui de les redécouvrir : pendant deux ans, n’étant plus obligés de voler au secours du monde toutes les deux minutes, ils ont enfin pu devenir pleinement eux-mêmes, car ça prend du temps et demande de l’énergie, de s’épanouir. Et même si, en apparence, ils ne sont plus aussi soudés, aussi fusionnels qu’auparavant, on a vraiment le sentiment que leur amitié s’est nourrie de cet éloignement : avant, ils ne formaient qu’une sorte d’entité indéfinie, maintenant, ils sont véritablement un groupe d’amis. Qui s’ouvre plutôt que de rester replié sur lui-même. Ils ont trouvé un nouvel équilibre, et même si une menace surgit de nulle part s’efforce de le briser en mille morceaux, il semblerait qu’ils soient une fois de plus prêts à affronter tous les dangers qui se dressent devant eux. Ensembles. Envers et contre tout. Et cela même si, et surtout si, celui qui a besoin d’aide préfèrerait rester seul … Encore une fois, Sophie nous offre une très belle histoire d’amour et d’amitié, qui m’a vraiment beaucoup touchée. Et c’est bien parce qu’elle arrive toujours à me faire rire et vibrer que, malgré tout, je continue à aimer ses livres, et à l’apprécier.