Si vous êtes restés confortablement assis dans votre fauteuil à l'annonce de la parution de l'ouvrage dont il est question aujourd'hui, c'est que vous n'avez vraisemblablement pas connu les années 90 "en temps réel". Vous êtes soit trop jeunes, soit trop âgés, et vous étiez alors déjà à l'époque blasés, convaincus que rien de bien n'est jamais sorti de la maison des Idées passé ce qu'on appelle sommairement le Bronze Age des comics. Les autres, ceux qui comme moi fréquentaient le collège, le lycée ou encore l'université en 1992, comprennent très bien de quoi il s'agit : des cartes de collection X-Men, illustrées par Jim Lee, qui à l'occasion livre plus d'une centaine de créations originales, qui vont marquer à jamais l'histoire du genre. Il faut juste comprendre qu'à l'époque, ce ne ne sont pas Batman, les Avengers ou Fortnite qui dominent le marché, mais plutôt tous les titres du rayon X. Une vraie révolution est en cours dans le monde des comic books, peu à peu les artistes prennent le pouvoir, au diable l'histoire, l'important c'est l'aspect visuel, la capacité de faire exploser la rétine du lecteur avec des pauses iconiques, de l'action à chaque page, des héros légendaires aux costumes fantasmagoriques. À ce petit jeu, Jim Lee est très fort. Après quelques séries de moindre importance, notamment le Punisher ou Alpha Flight, c'est un véritable coup de tonnerre qui retentit quand il débarque pour mettre en images Uncanny X-Men. En quelques épisodes, les jeux sont faits. Qui a oublié sa Psylocke extraordinaire, le trio Wolverine Jubilé Gambit ? Et surtout arrive ensuite son propre titre, celui qu'il va prendre en main dès le premier numéro en compagnie de Chris Claremont et qui sera sobrement intitulé X-Men, dès lors publié en parallèle au vaisseau amiral Uncanny. Jim Lee est une des méga stars de l'époque et s'il l'est toujours aujourd'hui, au point d'être devenu un des pontes incontournables de DC comics, il y a bien une raison… et s'il faut trouver un élément de réponse, s'il faut garder quelque chose qui a jamais démontrera le talent et l'influence de ce dessinateur, c'est peut-être bien ce set de 105 cartes à collectionner, que vous allez pouvoir redécouvrir sous toutes ses coutures, grâce à la collection P'tit Pop de Huginn & Muninn.
Jim Lee, lorsqu'il dessine les X-Men, c'est aussi le travail d'orfèvre de l'encreur Scott Williams, avec qui il forme une doublette presque parfaite. Mais pas ici ! Ces cartes de collection sont réalisés d'une manière un peu plus brute, et donc le trait de Lee y est plus personnel et évident, il s'encre tout seul. C'est Paul Mounts qui met en couleurs les dessins, recourant à toute une série de techniques, du feutre à l'aérographe en passant par le papier cadeau aux couleurs psychédéliques, qu'il achetait à l'époque dans les papeteries américaines. Toutes les cartes sont reproduites ici recto et verso, ce qui a son importance car derrière figuraient systématiquement les informations essentielles pour connaître les personnages, ainsi que leur niveau de pouvoir et quelques anecdotes bien utiles. Et en plus de cela, l'ensemble est fréquemment commenté, ce qui permet d'avoir un peu de recul. Chez Huginn & Muninn on ne s'est pas contenté de vous présenter les cartes une à une à la suite, mais il y a aussi une partie critique très pertinente, notamment les avant-propos de Bob Budianski et la préface d'Ed Piskor. C'est décisif, car cela permet de mieux comprendre l'importance et l'impact qu'a eu cette collection au moment de sa sortie. Elle a été précédée par deux séries plus "généralistes" qui furent à la base du phénomène et elle fut ensuite celle qui permit l'explosion de toutes les autres par la suite, à commencer par les Masterworks de Joe Jusko, que nous aimerions tant un jour voir débarquer dans la même collection. Certains personnages ont depuis été rapidement oubliés; d'autres ne sont pas présents car ils sont nés ou ont connu la gloire un peu plus tard. C'est donc un témoignage fantastique de ces années 1990, qui pour les lecteurs des séries mutantes représentent probablement le zénith de la création. Des dessins vraiment saisissants, des histoires qui chaque mois prenaient le lecteur à la gorge et instauraient un suspense réel et tangible, avant que le triomphe des séries mutantes n'incite Marvel à presser la franchise comme un citron, au point de la laisser exsangue dans les années 2000, après le passage de Grant Morrison. Si vous êtes un jeune lecteur et que vous trouvez que la phase actuelle, celle qui a été longtemps confiée à Jonathan Hickman, est une réussite artistique et commerciale inédite, ce n'est pas que vous ayez tort mais... c'est probablement que vous n'avez pas saisi toute l'importance qu'a pu avoir Jim Lee, voici une trentaine d'années. Ce petit ouvrage vraiment chouette est là pour vous le rappeler. Et pour les autres, c'est un cadeau à (se) faire absolument, le genre de chose que vous pouvez acheter en sachant qu'il est impossible d'être par la suite déçu. Une belle petite cure de jouvence avant de partir en vacances !