Rachilde : Monsieur Vénus

Par Lebouquineur @LBouquineur

Marguerite Eymery (1860-1953), dite Rachilde, est une femme de lettres française. Fille de militaire, rejetée par son père qui aurait voulu un garçon, et d’une mère excentrique adepte de spiritisme, elle refusa durant son adolescence un premier fiancé militaire proposé par son père, en mettant en balance une menace de suicide, et adopta le pseudonyme de Rachilde lors d’une séance de table tournante. Romancière prolifique, elle écrivit plus de soixante-cinq ouvrages et publia sous les pseudonymes de Jean de Childra et Jean de Chibra.

Monsieur Vénus, son roman le plus connu, a été publié pour la première fois en 1884 à Bruxelles pour échapper à la censure. De futures éditions paraitront en France allégées de certains passages mais il s’agit bien du roman intégral et initial qui vient d’être réédité.

Raoule de Vénérande, jeune noble orpheline vit avec sa vieille tante Elisabeth dans un luxueux hôtel particulier sur les Champs-Elysées. Refusant les valeurs de la société de son époque, elle adopte le mode vie masculin et lorsqu’elle tombe amoureuse d’un jeune artiste sans le sou, Jacques Silvert, les codes de la sexualités explosent dans l’inversion des rôles. Raoule est l’homme et Jacques sa « maîtresse » ! Vous imaginez le tollé causé par ce texte aux résonnances érotiques à cette époque !

Pour rassurer les lecteurs les plus prudes, il n’y a pas de scènes explicites telles qu’on en croise dans tous les romans d’aujourd’hui, mais le non-dit très clair néanmoins, ne pouvait qu’affoler les vertus d’hier.

Excellent bouquin parce que l’écriture est d’un haut niveau, la langue est très belle de celle qu’on lit dans les livres des cadors du XIXème siècle tout en étant assez moderne pour ne pas obliger le lecteur à faire le petit effort de recontextualisation. Et bien entendu, le sujet est riche en commentaires, extraordinairement en avance pour son époque, avec peu de personnages mais hauts en couleurs, faits d’opposition et de liens multiples basés sur les inversions des rapports de force.

Raoule, c’est la noblesse, le grand luxe des riches de son époque, une femme qui se vit en homme donc avec un caractère très fort. Jacques, le dominé, se vit en femme pour celle qui l’a sorti du ruisseau et qu’il aime comme une déesse. Il a une sœur, Marie, prostituée, qui voudrait tirer son épingle du jeu et obtenir une part de ce gâteau bien juteux. La tante Elisabeth Ermangarde, « chanoinesse de plusieurs ordres », se consacre aux bonnes œuvres, attendant que sa nièce se marie avec un bon parti pour se retirer du monde, elle est la voix de l’ordre moral de son temps. Et puis il y a le baron de Raittolbe, un ex-officier des hussards, prétendant malheureux de Raoule, ami intime et dévoué, troisième larron d’un trouple ?

Tout ce petit monde tourne autour de Raoule l’astre dominant, les passions se déchainent, librement consenties ou au corps défendant de certains, ça pleure, ça griffe, ça se réconcilie, les jeux de l’amour, ici sadomasochistes dans une version aux rôles inversés.